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La demande émane d’une mère soumise à la réalisation d’une « expertise médico-psychologique » avec son enfant de 4 ans ainsi que le père de celui-ci. L’examen a été mené par deux psychologues au sein d’une association spécialisée qui ont rendu un rapport d’expertise que la demandeuse interroge sur divers points.

Ordonnée par le Juge aux Affaires Familiales, cette expertise visait à « examiner l’enfant et procéder à tous entretiens utiles avec les parents ou des tiers pour rechercher en fonction des besoins de l’enfant la solution la plus conforme à son intérêt quant aux modalités d’exercice de l’autorité parentale et notamment l’organisation du temps auprès de chacun des parents ». La demandeuse décrit un couple marqué par des conflits et des faits de violence et qui se dispute la question de la domiciliation de l’enfant. Ce dernier serait davantage hébergé au domicile de la mère. Antérieurement, deux « expertises psychologiques privées » auraient eu lieu à l’initiative du père.

Quelques jours après avoir reçu le rapport d’expertise préconisant une garde partagée, la demandeuse a souhaité s’assurer de la validité d’un certain nombre de points. Ce qu’elle interroge peut être résumé comme suit :

- Sur la forme même du rapport, la demandeuse remet en question la validité du document qui ne mentionne pas le numéro Adeli des psychologues et dans lequel figurent « des erreurs factuelles d’importance ».

- Sur le caractère partial du rapport dans lequel la demandeuse note une reprise partielle de ses propos, des jugements de valeur, des développements inégaux entre ses propos et ceux de son ex-compagnon et des « partis pris manifestes » en sa défaveur.

- Sur la procédure même de l’expertise et la méthodologie employée, elle s’interroge notamment de savoir si le but des entretiens et ses droits devaient lui être explicités ; s’il leur était possible de refuser de prendre connaissance de documents que la demandeuse a proposés lors de l’expertise ; si les faits de violence signalés par ses soins auraient dû être davantage explorés.

- Quant aux conclusions que la demandeuse estime manquer « d’arguments sérieux et de littérature scientifique », ces psychologues auraient-elles du solliciter des tiers (grands-parents paternels, pédiatre de l’enfant) afin d’avoir une vision plus précise « des conditions de l’enfant » ?

Enfin, la demandeuse demande à la Commission s’il n’aurait pas été préférable, eu égard l’exercice, que les psychologues indiquent le temps dédié à chacune des parties dans leur rapport afin de s’assurer d’une équité de traitement auprès des parents.

Documents joints :

  • Copie du rapport d’expertise rédigé et cosigné par les deux psychologues avec en-tête de l’association spécialisée.
  • Copie d’une « demande d’évaluation de rémunération » produite par l’association spécialisée à l’attention du Tribunal de Grande Instance.
Posté le 05-09-2019 17:27:10

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2018

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Compétence professionnelle (Qualité scientifique des actes psychologiques)
- Respect de la personne
- Impartialité
- Évaluation (Droit à contre-évaluation)
- Écrits psychologiques (Identification des écrits professionnels)
- Autonomie professionnelle

AVIS 

AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné.

Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière.

 

La Commission se propose de traiter des points suivants :

  • Cadre d’intervention lors d’une expertise psychologique auprès d’une famille : respect des personnes, méthodologie et autonomie du psychologue.
  • Rigueur, prudence et impartialité dans la rédaction d’un rapport d’expertise.
  1. Cadre d’intervention lors d’une expertise psychologique auprès d’une famille : respect des personnes, méthodologie et autonomie du psychologue

La tenue d’une expertise est une procédure répondant à des règles auxquelles chaque professionnel sollicité (expert) est soumis. L’écrit remis à la justice et validé par chaque expert est peut être lourd de conséquences pour les personnes évaluées.

La réalisation d’une expertise psychologique, en ce sens, fait appel au Principe 1 du Code, y compris dans les situations où la demande n’émane pas des personnes qu’il rencontre. Dans ce cadre, le psychologue doit s’assurer de respecter chaque personne dans sa dimension psychique comme le préconise l’article 12 du Code.

Principe 1 : Respect des droits de la personne

« Le psychologue favorise l’accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix. Il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. Il préserve la vie privée et l’intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. »

Article 12 : « Lorsque l'intervention se déroule dans un cadre de contrainte […], le psychologue s’efforce de réunir les conditions d'une relation respectueuse de la dimension psychique du sujet. »

Le psychologue tient alors compte des principes cités ci-dessus en articulation avec le but assigné de son intervention comme le rappelle le Principe 6 :

Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. »

Par rapport à la situation présente, rien ne semble se distancier de l’objectif posé par le Juge aux Affaires Familiales. Cet objectif est reproduit par les psychologues dans le rappel du contexte de leur rapport.

A partir de la commande formulée, le psychologue commis comme expert définit le cadre de son intervention. Le choix des outils et méthodes lui appartient afin de remplir la mission qui lui est assignée et il est de sa responsabilité professionnelle de les porter à la connaissance de chaque personne concernée. En cela, le psychologue s’appuie sur le Principe 3 et le Principe 4 du code de déontologie.

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. »

Principe 4 : Rigueur

« Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. »

De surcroît, tout psychologue intervenant conjointement avec un autre collègue se doit d’articuler avec lui son intervention comme le rappelle l’article 31.

Article 31 : « Lorsque plusieurs psychologues interviennent dans un même lieu professionnel ou auprès de la même personne, ils se concertent pour préciser le cadre et l'articulation de leurs interventions. »

La Commission a pu relever au sein du rapport d’expertise un manque de précisions quant aux modalités d’intervention des deux psychologues (les entretiens ont-ils été conjointement menés ? Y avait-il une répartition coordonnée des personnes écoutées ?). Ceci, tout comme les diverses annulations et reports d’entretien, peut avoir contribué à fragiliser l’évaluation.

Par ailleurs, l’exercice de l’expertise psychologique suppose que le psychologue puisse informer les personnes reçues de leurs droits, notamment de demander une contre-évaluation, c’est le sens de l’article 14 du Code.

Article 14 : « Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue informe les personnes concernées de leur droit à demander une contre évaluation »

Dans la situation présente, la demandeuse avait la possibilité de contester la validité de l’expertise. Au vu des informations mises à disposition de la Commission, cette dernière s’est interrogée sur l’information faite en ce sens à la demandeuse pour contester, discuter, questionner la procédure.

  1. Rigueur, prudence et impartialité dans la rédaction d’un rapport co-signé par deux psychologues

Tout psychologue commis en qualité d’expert a pour mission de répondre aux questions posées dans son rapport dans la limite de son champ de compétence et de sa déontologie. Sa responsabilité professionnelle est ainsi engagée et il doit faire preuve de prudence dans la transmission d'éléments psychologiques en référence aux Principes 1 et 6 du Code, déjà cités.

Le psychologue doit, pour ce faire, s’appuyer sur une construction rigoureuse intégrant les nécessaires limites de son travail. Il veille alors à ce que son travail d’analyse et de compréhension de situations familiales, parfois conflictuelles, n'amène pas à des observations réductrices ou potentiellement définitives comme précisé dans l'article 25 du Code.

Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes. »

Dans la situation présente, les deux psychologues ont cosigné le rapport d’expertise et leur responsabilité est de ce fait engagée pour chacune d’elles. Si la forme du rapport, structuré en sous-parties, donne à voir une certaine rigueur de construction, la Commission ne peut que soulever la nécessaire vigilance du psychologue quant à la validité des informations mentionnées. Le fait que les psychologues aient reporté des informations erronées concernant le lieu de naissance et l’organisation des modes de résidence actuelle de l’enfant porte préjudice à la rigueur de leur écrit. Si par ailleurs ces informations reposaient plutôt sur les dires des personnes reçues, il eut été préférable que les psychologues puissent mentionner ce point.

Pour réaliser un travail d’expertise ayant comme finalité d’orienter la décision du Juge aux Affaires Familiales, le psychologue doit faire preuve de discernement et d'impartialité comme le mentionne le Principe 2 du code de déontologie :

Principe 2 : Compétence

« Le psychologue tient sa compétence : […] de sa formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui. Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. […] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. »

Par rapport à la situation qui préoccupe la demandeuse, les deux professionnelles avaient toute autonomie dans la structuration de leur rapport et n’ont donc aucunement l’obligation de mentionner le temps accordé à chaque entretien. L’impartialité d’un rapport ne pouvant s’analyser au regard de la longueur des développements accordés à chaque partie, ce dernier doit surtout et autant que possible poursuivre une analyse objective de la situation.

Si la méthode employée par les psychologues dans le cadre de cette expertise relève de leur responsabilité, le fait que les psychologues aient fait le choix de ne pas reporter des éléments que la demandeuse estimait pourtant importants pour mieux appréhender le contexte familial peut alors les exposer au reproche de partialité. De surcroît, il est aussi possible que les faits de violence, compte tenu des informations à la disposition de la Commission, aient été trop peu investigués par les deux psychologues.

En outre, la Commission rappelle que la transmission de conclusions à un tiers, y compris dans un contexte d’expertise judiciaire, suppose de les porter à la connaissance des différentes personnes concernées afin de les informer de leurs conclusions, comme le rappelle l’article 17 du Code.

Article 17 : « Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. La transmission à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci. »

Au travers de cette sollicitation, la demandeuse fait part de son incompréhension et de sa lecture critique des conclusions proposées dans le rapport et de ses résultats au test de personnalité. A cet égard, la Commission estime qu’il aurait été judicieux que les psychologues puissent informer davantage la demandeuse de leurs conclusions avant transmission au Juge afin de veiller à une meilleure appréhension de celles-ci.

Par ailleurs, la demandeuse questionne l’absence de numéro ADELI dans le rapport. Le code de déontologie stipule que tout document rédigé par un psychologue doit clairement mentionner les éléments rappelés dans l’article 20 :

Article 20 : « Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. […] ».

Enfin, la Commission s’interroge sur la manière dont l’expertise a été menée relativement à la situation de l’enfant. En effet, la procédure visait, avant tout, à « examiner l’enfant » et à « rechercher en fonction des besoins de l’enfant la solution la plus conforme à son intérêt ». Ici, la Commission ne peut que rappeler qu’un psychologue engagé dans une démarche d’expertise auprès d’un enfant veille à construire son intervention, choisir ses outils et à formuler son avis dans l’intérêt de chaque protagoniste et de surcroit, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pour la CNCDP

La Présidente

Mélanie GAUCHÉ

La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur.

Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité.

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Avis 18-03.pdf

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