L’auteur du courrier est un psychologue qui souhaite l’avis de la Commission sur son projet professionnel qui l’amènerait à intervenir de façon non conventionnelle en partageant des « moments de vie », « ponctuellement ou dans la durée », avec des patients, adolescents ou adultes, particulièrement « difficiles (adolescents en rupture, schizophrènes, etc) ». Le demandeur a fait le constat que selon lui « l’alliance de travail nécessaire à l’obtention de résultats ne s’installe qu’en dehors de tout cadre institutionnel et au bout d’un certain temps ». Il participerait ainsi à des activités diverses, sportives, culturelles, conviviales avec les patients, « informés et consentants ». Ces interventions « se feraient dans le respect des règles déontologiques ».
Documents joints : aucun
Année de la demande : 2014 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Compétence professionnelle (Analyse de l’implication personnelle du psychologue, Élaboration des données, mise en perspective théorique, Formation (formation initiale, continue, spécialisation), Reconnaissance des limites de sa compétence, orientation vers d’autres professionnels)
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La situation exposée amène la Commission à traiter les points suivants : - la construction du cadre d'intervention du psychologue et ses limites, - le contexte déontologique de la prise en charge atypique de patients « difficiles ». 1. La construction du cadre d'intervention du psychologue et ses limites. Le travail du psychologue s’inscrit dans un cadre relationnel avec des personnes reconnues dans leur dimension psychique c’est ce qui fonde l’activité du psychologue, selon les termes de l’épigraphe du Code : Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues. Dans ce cadre, les méthodes et moyens employés doivent s’adapter aux objectifs visés : Article 3 : Ses interventions en situation individuelle, groupale ou institutionnelle relèvent d’une diversité de pratiques telles que l’accompagnement psychologique, le conseil, l’enseignement de la psychologie, l’évaluation, l’expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, le travail institutionnel. Ses méthodes sont diverses et adaptées à ses objectifs. Son principal outil est l’entretien. Dans la situation présentée ici, la variété des contextes dans lesquels le demandeur serait amené à effectuer son activité ainsi que leur caractère « non conventionnel hors de tout cadre institutionnel » doit l’inciter à énoncer clairement sa qualification et sa fonction de psychologue auprès des protagonistes. Par ailleurs, la complexité des situations que le psychologue rencontre ne permet pas de poser d’emblée un modèle de cadre qui s’établirait définitivement quelle que soit la situation. Le Code propose un certain nombre de règles dont l’application ne peut se faire en dehors de réflexions éthiques, guidées par les principes généraux, sur lesquels nous reviendrons, conformément au texte qui les introduit : La complexité des situations psychologiques s'oppose à l’application automatique de règles. Le respect des règles du présent Code de Déontologie repose sur une réflexion éthique et une capacité de discernement, dans l'observance des grands principes suivants : C’est ainsi qu’il lui revient d’apprécier, en toute responsabilité, et en fonction de ses compétences, s’il est en mesure de poser les limites inhérentes à ses qualifications qui lui permettront d’exercer en tant que psychologue dans le respect du Code. Principe 2 : Compétence […] Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu'il sait ne pas avoir les compétences requises. Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. Principe 3 : Responsabilité et autonomie […] Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. En ce qui concerne les interventions proprement dites, celles-ci doivent être choisies en toute rigueur, comme l’y invite le Principe 4. Principe 4 : Rigueur Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. S’agissant des interventions non conventionnelles, qualifiées ici de « moments de vie » par le demandeur, il lui faudra être attentif à ce qu’elles respectent bien le cadre pré-établi selon les principes énoncés ci-dessus, notamment que ces interventions s’inscrivent bien dans un cadre professionnel de psychologue : Article 5 : Le psychologue accepte les missions qu'il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences. D’autre part, le psychologue doit veiller à ce que ces pratiques ne relèvent pas d’autres types d’interventions de professionnels amenés à travailler avec des patients « difficiles » : Article 6 : Quand des demandes ne relèvent pas de sa compétence, il oriente les personnes vers les professionnels susceptibles de répondre aux questions ou aux situations qui lui ont été soumises. Par ailleurs, le psychologue doit mettre en œuvre des méthodes répondant aux objectifs fixés pour de telles interventions. Principe 6 : Respect du but assigné Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. 2. Le contexte déontologique de la prise en charge atypique de patients « difficiles » Face à la diversité des fonctionnements psychopathologiques et des populations que le psychologue rencontre dans sa pratique professionnelle, il peut être amené à proposer des prises en charge variées, s’éloignant des entretiens les plus usuels en face à face. Chaque approche thérapeutique novatrice doit faire l’objet d’une réflexion sur les objectifs que le praticien souhaite atteindre, et ce, en fonction d’une analyse approfondie de la situation. Cette réflexion renvoie au principe de responsabilité, le psychologue doit être en mesure de répondre de ses choix méthodologiques et de leur impact sur les personnes qui le consultent. C’est sur la base d’une mise à jour régulière de ses connaissances et d’une réflexion critique sur sa pratique que le psychologue tentera de répondre au mieux aux problématiques qu’il rencontre. Principe 2 : Compétence Le psychologue tient sa compétence :
Article 23 : La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques employées. Elle est indissociable d’une appréciation critique et d’une mise en perspective théorique de ces techniques. Lorsque le psychologue s’interroge sur sa pratique, il peut questionner ses pairs pour éclairer sa situation, comme l’indique l’article 29 : Article 29 : Le psychologue soutient ses pairs dans l’exercice de leur profession et dans l'application et la défense du présent Code. Il répond favorablement à leurs demandes de conseil et d'aide dans les situations difficiles, notamment en contribuant à la résolution des problèmes déontologiques. Toute modification ou adaptation du cadre d’intervention du psychologue l’oblige à instaurer des règles pour conserver le caractère professionnel de son intervention. Il semble que la pratique impliquant le « partage de la vie du patient » avec des jeunes ou des personnes présentant des troubles déstructurants de la personnalité puissent facilement engendrer des difficultés de maintien du cadre professionnel. Celui-ci s’inscrit essentiellement à partir d’une approbation d’engagement dans le dispositif : les perturbations dont souffrent les patients peuvent inciter à penser que cet assentiment n’est pas toujours obtenu en toute connaissance de cause. En conséquence, le psychologue doit impérativement s’astreindre à un respect total de la dimension psychique du sujet : Article 12 : Lorsque l'intervention se déroule dans un cadre de contrainte ou lorsque les capacités de discernement de la personne sont altérées, le psychologue s’efforce de réunir les conditions d'une relation respectueuse de la dimension psychique du sujet Le fait d’évoluer dans l’environnement privé du patient, de rencontrer ses proches dans un cadre non professionnel, influe sur la perception et la compréhension que le psychologue se forge de son interlocuteur. En outre, ce contexte particulier est propice à ce que se nouent des relations à caractère privé, lesquelles sont alors susceptibles de positionner le psychologue dans une situation où il se trouve personnellement engagé et non plus professionnellement. Cette situation de proximité permettrait difficilement de se dégager du réel partagé au détriment de la réalité psychique de l’usager qui constitue habituellement l’élément sur lequel se fonde le travail psychothérapeutique. Article 18 : Le psychologue n’engage pas d’intervention ou de traitement impliquant des personnes auxquelles il est personnellement lié. Dans une situation de conflits d’intérêts, le psychologue a l'obligation de se récuser La Commission s’interroge sur la nécessité, d’une part, que les intéressés puissent consentir de manière éclairée à ce type d’intervention : Article 9 : Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent […].Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités, des limites de son intervention […]. D’autre part, la Commission questionne aussi le fait que ces « moments de vie » n’interfèrent pas avec la vie privée des personnes qu’il serait amené à rencontrer en dehors d’un lieu plus habituel de l’exercice professionnel de psychologue. Principe 1 : Respect des droits de la personne […] Il préserve la vie privée et l'intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. Il respecte le principe fondamental que nul n'est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même. La Commission porte son attention sur les exemples d’activités donnés par le demandeur, qui se réalisent en présence d’autres personnes non concernées a priori par le dispositif de prise en charge. Dans ces conditions, quelles pourraient être les modalités permettant de préserver le secret professionnel vis à vis du patient ? La Commission ne peut que recommander au psychologue une information claire et précise sur l’exercice de son activité au sein de tel groupe et notamment concernant la garantie de la préservation du secret professionnel. Article 7 : les obligations concernant le respect du secret professionnel s’imposent quel que soit le cadre d’exercice. Dans des situations où les patients sont particulièrement fragilisés et présentent de graves désordres psychologiques, comme cela semble être le cas ici, le psychologue doit également veiller, du fait de sa position asymétrique, à ne pas exercer sur le patient une influence autre que celle conduisant aux objectifs recherchés à travers des conseils et interprétations, comme l’y invitent le principe 5 et l’article 15 : Principe 5 : Intégrité et probité Le psychologue a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles, religieuses, sectaires, politiques, ou en vue de tout autre intérêt idéologique. Article 15 : Le psychologue n’use pas de sa position à des fins personnelles, de prosélytisme ou d’aliénation économique, affective ou sexuelle d’autrui. Cette recommandation s’impose tout particulièrement face à des mineurs, pour lesquels le psychologue cherchera à obtenir le consentement des détenteurs de l’autorité parentale, comme l’y invite l’article 11 : Article 11 : L'évaluation, l'observation ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposés par le psychologue requièrent outre le consentement éclairée de la personne, ou au moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l'autorité parentale ou des représentants légaux. Pour la CNCDP La Présidente Sandrine SCHOENENBERGER |