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La mère d’une enfant de 7 ans, séparée du père dans un contexte très conflictuel sollicite la CNCDP au sujet d’une expertise effectuée par une psychologue. Cette expertise qui porte sur la mère et l’enfant (ainsi que d’autres) a été « réalisée sur demande du juge aux affaires familiales pour suspicion de maltraitance sur l’enfant mineure ».

La demandeuse décrit longuement et en détail les faits ayant abouti à la séparation du couple, puis à l’installation d’un climat préjudiciable à son enfant, ayant conduit à sa demande à la mise en place d’un accompagnement thérapeutique pour elle et sa fille. La demandeuse émet plusieurs critiques à l’encontre de l’experte psychologue qui a rédigé ce document. Elle estime tout d’abord que cette dernière « n’a pas répondu à la commande de la cour », qu’elle n’a pas respecté le code de déontologie. Elle estime ensuite que l’expertise apporte une vision partiale (« a esquivé de manière volontaire tous les aspects préoccupants »), inexacte (« a déformé les propos de l’enfant ») et contradictoire (« à dire une chose et son contraire la ligne suivante »). Les conditions formelles de l’expertise sont aussi mises en cause par la demandeuse, qui estime que des entretiens téléphoniques avec le juge n’ont pas été mentionnés dans l’expertise et que la psychologue « a été en contact avec le père à plusieurs reprises mais n’en fait pas état et ne le notifie pas ». Elle reproche enfin à l'experte psychologue de ne pas lui avoir communiqué son rapport avant transmission au magistrat.

Cette expertise a abouti à fixer le lieu de résidence de la fillette chez son père, domiciliéà plusieurs milliers de kilomètres de la mère. La demandeuse a ensuite fait réaliser des contre-expertises. Elle souhaite l’annulation de l’expertise et « une sanction contre cette experte ». Elle demande si « le père peut (…) en faire un usage privé et [la] diffuser. »

Documents joints :

Par souci de clarté et compte tenu du nombre important d’intervenants psychologues ou psychiatres dans cette situation, nous attribuons une lettre à chacun d’entre eux.

  • copie d'une expertise psychologique de la mère réalisée par une experte psychologue (a) à la demande du juge aux affaires familiales,

  • copie d'une expertise psychologique de la jeune enfant, réalisée par une experte psychologue (a) à la demande du juge aux affaires familiales,

  • copie de deux dessins de la fillette,

  • copie de deux photos de la fillette à son retour de séjour chez son père,

  • copie d’un compte rendu d’expertise réalisé « à l’encontre » de la fillette par un psychiatre (b) à la demande du juge aux affaires familiales,

  • copie d'un courrier du psychiatre (b) adressé au juge aux affaires familiales,

  • copie d'un rapport d’expertise psychologique du père réalisé par un expert psychologue (c),

  • copie d’une contre-expertise de la fillette réalisée par une experte psychologue (d), à la demande de la mère,

  • copie d’un examen psychologique de la mère par une psychologue (e), à la demande du juge aux affaires familiales,

  • copie d’un certificat cosigné par un pédopsychiatre (f) et un psychologue (g) qui assurent le suivi psychologique de la fillette,

  • copie d’un certificat d’un psychologue (h) qui assure le suivi de la mère.

Posté le 30-10-2014 17:07:45

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2013

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Compétence professionnelle (Élaboration des données, mise en perspective théorique)
- Consentement éclairé
- Discernement
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Impartialité
- Responsabilité professionnelle
- Respect de la personne
- Respect du but assigné
- Transmission de données psychologiques (Compte rendu à l’intéressé)

A la lecture du courrier de la demandeuse et des pièces jointes, la CNCDP tient à rappeler que son rôle est de fournir un avis sur la base du code de déontologie des psychologues. C'est pourquoi, la Commission ne pourra pas répondre aux questions de la demandeuse relatives au fait que la psychologue en question n’ait pas, dans son expertise, répondu à la commande de la cour. En outre, la Commission, instance consultative, n’a pas le pouvoir de sanctionner la psychologue.

La Commission décide de développer les points suivants :

- Conditions techniques d’une expertise psychologique,

- Compétence et rigueur professionnelles,

- Usage privé et diffusion d’une expertise.

  1. Conditions techniques d’une expertise psychologique

L’essentiel des griefs, portés à la connaissance de la Commission par la demandeuse, concerne une expertise réalisée par une experte psychologue sur ordonnance d’un juge aux affaires familiales.

De façon générale, un rapport d’expertise est un document qui contribue à éclairer le magistrat sur une ou plusieurs questions qu’il se pose. Dans cette position d’expert, le psychologue répond, d’un point de vue déontologique, à des critères et conditions techniques indiqués dans l’article 9 du code de déontologie :

Article 9 : Avant toute intervention, le psychologue s’assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions.

Au niveau de la forme, l'écrit, ici l'expertise destinée à être produite en justice, doit clairement faire mention de l’identité du psychologue, de sa sollicitation en qualité d’expert, et satisfaire à d'autres conditions précisées dans l’article 20 du Code :

Article 20 : Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. (…)

  1. Compétence et rigueur professionnelles

L’expertise psychologique nécessite un travail de recueil d'informations, d’analyse, d’élaboration, d’observation, de retranscription et de rédaction, dans l'objectif de répondre aux questions posées par le magistrat. Le psychologue a des compétences professionnelles qui lui permettent de mener à bien ses missions :

Principe 2 : Compétence

Le psychologue tient sa compétence :

- de connaissances théoriques et méthodologiques acquises dans les conditions définies par la loi relative à l’usage professionnel du titre de psychologue;

- de la réactualisation régulière de ses connaissances;

- de sa formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui. (…)

Le psychologue dispose en outre d'une autonomie professionnelle technique ; cela signifie qu’il décide seul des outils et des méthodes auxquels il a recours, en fonction des objectifs de ses interventions, du but assigné, de la spécificité des personnes rencontrées et du contexte des rencontres. Ces méthodes sont scientifiquement validées et actualisées, comme l’indique le code de déontologie :

Article 24 : Les techniques utilisées par le psychologue à des fins d’évaluation, de diagnostic, d’orientation ou de sélection, doivent avoir été scientifiquement validées et sont actualisées.

Principe 4 : Rigueur

Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail.

Cette rigueur méthodologique et technique va de pair avec une rigueur quant au respect des droits de la personne dont il s'efforce de recueillir le consentement, comme précisé dans l'article 9, précédemment cité. En effet, la personne que le psychologue reçoit doit être informée de manière explicite des modalités et des limites de l’intervention de ce dernier, et en l’occurrence, de celles de l’expertise psychologique menée, de ses conséquences éventuelles, et des destinataires de celle-ci.

Toutefois, il est des situations où la personne qui rencontre le psychologue n’est pas celle qui en a exprimé la demande ; en l’occurrence, dans la situation présentée c’est le Juge qui est à l’origine de la demande de l’expertise et donc de la rencontre de la mère et de l’enfant avec un psychologue. Dans ce type de situation, la notion de consentement éclairé est relative, puisque le consentement est quelque peu contraint par la mission judiciaire et ses enjeux. Ce type de situation est évoqué dans l’article 12 du Code :

Article 12 : Lorsque l'intervention se déroule dans un cadre de contrainte (…), le psychologue s’efforce de réunir les conditions d'une relation respectueuse de la dimension psychique du sujet.

Intervenir auprès d’un enfant, en tant que psychologue expert, dans un contexte de conflit parental est délicat, surtout quand la question de la maltraitance éventuelle est soulevée. Le rapport d’expertise doit aider le magistrat dans les décisions qu'il prendra quant à la résidence de l’enfant et quant à ses relations avec ses parents (séparés de plusieurs milliers de kilomètres, dans cette situation). Tous ces éléments vont avoir un impact sur le développement psycho-affectif de ce dernier et sur sa sécurité physique et psychique.

En effet, le psychologue doit veiller, dans son intervention, au respect des droits fondamentaux de la personne, en l’occurrence ici de l'enfant :

Principe 1 : Respect des droits de la personne

Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection.

S’il doit être attentif au respect des droits de la personne, il lui est nécessaire de prendre de la distance vis-à-vis d’éventuelles pressions qui pourraient modifier les résultats de l’expertise. C’est la raison pour laquelle le Principe 2 du Code rappelle que même si le psychologue est soumis à des pressions, dans une situation conflictuelle par exemple, il doit, malgré tout, intervenir avec circonspection :

Principe 2 : Compétence

(…) Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité.

Enfin, dans la situation soumise à la Commission, la demandeuse reproche à la psychologue d'avoir interprété et déformé les propos de l'enfant. Le code de déontologie précise à ce sujet que le psychologue doit prendre en compte la relativité de ses conclusions au sujet d'une personne, dans la mesure où les propos rapportés sont forcément subjectifs et de surcroit rapportés dans un temps donné de la vie de la personne :

Article 25 : Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes.

  1. Usage privé et diffusion d’une expertise

La dernière question soumise à l'appréciation de la Commission concerne l’usage qui peut être fait par le père des expertises qu’il a en sa possession, ainsi que leur diffusion à des tiers.

En ce domaine, il est important de rappeler qu’en vertu du principe déontologique de respect du but assigné, le psychologue conçoit son intervention en tenant compte des conséquences possibles de son travail et ici de l’utilisation possible de son expertise par une personne concernée.

Principe 6 : Respect du but assigné

Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations possibles qui pourraient en être faite par des tiers.

Le psychologue doit répondre aux questions posées, ici par le magistrat qui a ordonné l’expertise, en ne fournissant des éléments d’ordre psychologique que si cela s’avère nécessaire,. Il convient donc de faire preuve de prudence, comme rappelé dans l’article 17 du Code :

Article 17 : Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. La transmission à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci.

Concernant la diffusion et l’usage privé de l’expertise par le père, il n’appartient pas au psychologue évoqué dans la demande ni à la Commission d’en juger. Cependant, dans de telles situations, les différentes parties ont accès, par le biais de leurs avocats, au dossier comprenant notamment les expertises psychologiques.

Pour la CNCDP

La Présidente

Claire Silvestre-Toussaint

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