Le père d’un garçon âgé de 8 ans saisit la Commission au sujet de l’intervention d’une psychologue exerçant en libéral. Celle-ci a rédigé « une Information Préoccupante » (IP) concernant une suspicion « d’attouchements sexuels dans le milieu intra familial » perpétrés sur le fils du demandeur. La psychologue n'avait alors effectué qu'une seule consultation de l’enfant, accompagné de sa mère. Le document a été transmis, sans délai, à la Cellule de Recueil des Informations Préoccupante (CRIP) du département où réside la famille.
Les parents se sont séparés alors que le garçon était âgé de 2 ans et 9 mois. Le demandeur décrit un conflit persistant avec son ancienne compagne, quant à l’organisation des calendriers d’accueil de leur fils. Au fil des ans, quatre audiences devant le juge aux affaires familiales (JAF) ont eu lieu, aboutissant chacune à une confirmation de la modalité dite « en garde alternée ».
Au début de l’année, le demandeur dit avoir reçu un appel téléphonique de son ex-compagne, lui signifiant qu’elle ne « remettrait plus l’enfant, qu’une enquête est en cours. » Quelques jours plus tard, ce père s’est présenté à la gendarmerie afin de porter plainte pour « non -représentation d’enfant » et c’est alors qu’il a appris que la mère de l’enfant avait déposé deux plaintes, l'une pour violence volontaire à son encontre, l’autre pour des « faits d’agression sexuelle incestueuse sur mineur par ascendant ». S’en seraient suivies une mise en garde à vue, une suspension en urgence par le JAF de la garde alternée du garçon, une perquisition de son domicile avec saisie du matériel informatique, ainsi que la réalisation d’une enquête de voisinage. Les investigations et les auditions de l’enfant et de « son agresseur présumé », diligentées lors de l’enquête préliminaire de police, auraient abouti à un classement sans suite.
Par la suite, le demandeur a pris connaissance dans le dossier remis au JAF, de l’existence de l’IP qui avait été transmise à la CRIP par la psychologue. Les suites données à cette IP ne sont pas renseignées. Il est en attente de la décision du magistrat concernant la restitution de ses droits de visite et d’hébergement de son fils.
Le demandeur qualifie le document rédigé par la psychologue d’« attestation de complaisance » pour « rendre volontairement service à la mère ». Il demande à la Commission de se prononcer sur le respect du code de déontologie en particulier au regard, des conséquences que ce document a eues pour lui et du fait qu’il n’a jamais rencontré cette professionnelle.
Documents joints:
Copie du procès-verbal d’audition de la mère de l’enfant pour son dépôt de plainte à la gendarmerie.
Année de la demande : 2020 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Responsabilité professionnelle |
La Commission se propose de traiter du point suivant :
Responsabilité du psychologue face à des suspicions d’abus sexuel sur mineur dans un contexte de séparation parentale conflictuelle. Une situation de violence, dans laquelle pèsent des soupçons d’abus sexuels intrafamiliaux, réclame la plus grande vigilance de la part du psychologue. Ses interventions se doivent de toujours respecter le cadre de sa mission fondamentale, telle que définie dès le Frontispice ainsi que dans l’article 2 du Code : Frontispice : « Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l'action des psychologues » Article 2 : « La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus considérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte. » La psychologue recevait ici un mineur accompagné d’un seul de ses parents. Son écrit intitulé « Information Préoccupante » ne précise pas dans quelle mesure elle aurait cherché à introduire l’autre parent dans la consultation initiale, en tenant compte de la séparation du couple. Dans un tel contexte, la psychologue ne semble pas avoir fait preuve d’une prudence suffisante, comme le rappelle le Principe 2 du Code : Principe 2 : Compétence « […] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. » En effet, l’obtention d’un accord explicite des deux parents ne peut être considérée comme accessoire, lors de l’intervention du psychologue auprès d’un mineur, quand des procédures judiciaires conflictuelles ont eu lieu ou sont en cours. L’article 11 établit clairement la nécessité de recueillir le consentement de chacune des personnes concernées : Article 11 : « L'évaluation, l’observation ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposés par le psychologue requièrent outre le consentement éclairé de la personne, ou au moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l'autorité parentale ou des représentants légaux. » Par ailleurs, le Code établit dès le Principe 3 la responsabilité professionnelle du psychologue face au choix de ses méthodes, à la formulation de ses avis et aux missions ou fonctions qu’il décide de remplir : Principe 3 : Responsabilité et autonomie « Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en oeuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer ». L’article 13 précise en outre que l’évaluation effectuée par le psychologue porte sur les seules personnes et situations qu’il a lui-même pu examiner : Article 13 : « Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées. Son évaluation ne peut cependant porter que sur des personnes ou des situations qu'il a pu lui-même examiner. » À ce titre, la Commission s’est interrogée quant à la possibilité de considérer qu’un seul entretien avec un mineur en présence d’un seul de ses parents soit suffisant pour évaluer une demande et une situation. L’examen psychologique, quant à lui, requiert un dispositif rigoureux au sens du Principe 4 : Principe 4 : Rigueur « Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d’une explicitation raisonnée et d?’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. » Ici, la psychologue est intervenue dans le cadre d’une « première consultation » et semble avoir retenu sans recul le verbatim de la mère et de l’enfant, qui insinuait l’existence d’attouchements sexuels du père au moment des soins corporels et des douches. Le document transmis à la CRIP omet en outre de porter la signature de la psychologue et son numéro ADELI, comme le requiert l’article 20 : Article 20 : "Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. Il refuse que ses comptes rendus soient transmis sans son accord explicite et fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou électronique. » La Commission tient cependant à préciser que la rédaction et la transmission d’une IP constituent bien une option à laquelle peut recourir un psychologue. Dans ce cas, il s’astreint à le faire avec tout le discernement nécessaire, en évaluant minutieusement les conséquences de son acte comme l’indique l’article 19 : Article 19 : « Le psychologue ne peut se prévaloir de sa fonction pour cautionner un acte illégal et son titre ne le dispense pas des obligations de la loi commune. Dans le cas de situations susceptibles de porter atteinte à l'intégrité psychique ou physique de la personne qui le consulte ou à celle d'un tiers, le psychologue évalue avec discernement la conduite à tenir en tenant compte des dispositions légales en matière de secret professionnel et d'assistance à personne en péril. Le psychologue peut éclairer sa décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés. » Il apparait ici que la psychologue s’est conformée à la loi, en décidant de rédiger et de transmettre « sans délais » une IP. Elle semble pourtant ne pas avoir fait preuve de suffisamment de prudence et de rigueur, au sens du Principe 4 déjà cité, en ne se donnant pas le temps et les moyens de prendre du recul sur la situation et sur l’analyse des déclarations de la mère et de l’enfant. Elle aurait pu suivre les recommandations de l’article 19 et solliciter l’avis d’un collègue expérimenté, afin d’éclairer sa décision.
Pour la CNCDP La Présidente Michèle GUIDETTI La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur. Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité. |
20-29_Final_AI.pdf |