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RÉSUMÉ DE LA DEMANDE

La Commission est saisie par la demande d’une mère qui est aujourd’hui divorcée. Ses deux fils résident depuis plus d’un an, en « garde alternée » chez chacun de leurs parents suite à une décision du Juge aux Affaires Familiales (JAF). Ces modalités s’appuient sur les conclusions d’un rapport d’expertise psychologique auprès des membres de la famille, réalisé par une psychologue, mandatée par ce même magistrat lorsque les enfants avaient 7 et 4 ans.

La demandeuse est psychologue et souhaite obtenir un avis de la Commission quant au contenu de cette expertise qui, selon elle, « enfreint à plusieurs titres le code de déontologie ». Par ailleurs, certains de ses propos consignés dans ce rapport auraient permis à son ex-conjoint de demander « réparation d’un préjudice de diffamation ».

De même, elle recherche un éclairage sur « ce qui est attendu d’un expert », ayant appris que d’autres expertises, réalisées par la même psychologue, auraient « causé beaucoup de dégâts » chez d’autres personnes.

Document joint :

Copie du rapport d’expertise psychologique.

Posté le 12-10-2021 20:03:31

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2020

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Autonomie professionnelle
- Discernement
- Information sur la démarche professionnelle (Explicitation de la démarche aux usagers /clients ou patients (avant ou/ et en cours d’intervention))
- Mission (Compatibilité des missions)
- Respect de la personne
- Secret professionnel (Obligation du respect du secret professionnel)
- Respect du but assigné
- Responsabilité professionnelle

La Commission se propose de traiter du point suivant :

  • Aspects déontologiques de l’expertise psychologique dans le contexte d’un divorce.

 

Aspects déontologiques de l’expertise psychologique dans le contexte d’un divorce.

En préambule, il importe à la Commission de préciser qu’aucune normativité n’étant, à ce jour, prescrite aux experts mandatés dans un cadre judiciaire, médico-légal ou médico-social, elle ne peut en rien statuer sur la manière dont une expertise doit être menée par un psychologue, tant sur son maniement que sur son contenu. En revanche, elle se propose de soumettre la demande qui est ici formulée aux attendus du code de déontologie.

Ainsi, l’article 3 précise qu’un psychologue peut intervenir dans le cadre d’un tel mandat. Il accepte cette mission lorsqu’il estime en avoir les compétences comme l’article 5 le précise :

Article 3 : « Ses interventions en situation individuelle, groupale ou institutionnelle relèvent d’une diversité de pratiques telles que l’accompagnement psychologique, le conseil, l’enseignement de la psychologie, l’évaluation, l’expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, le travail institutionnel. Ses méthodes sont diverses et adaptées à ses objectifs. Son principal outil est l’entretien. »

Article 5 : « Le psychologue accepte les missions qu'il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences. ».

Une fois mandaté par un magistrat, le psychologue définit le cadre et l’objectif de son intervention. Le choix des outils et méthodes lui appartient, comme le stipule le Principe 3, et il est de sa responsabilité professionnelle de les porter à la connaissance de chaque personne concernée, comme préconisé dans l’article 9 :

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. »

Article 9 : « Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions. »

À ce titre, le présent rapport d’expertise donne peu d’éléments sur l’information préalable qui a été délivrée à la demandeuse et à son ex-conjoint. Pour ce qui est de sa forme, la Commission remarque l’absence de numéro ADELI et de coordonnées professionnelles de sa signataire. Tous les autres éléments préconisés dans l’article 20 sont présents :

Article 20 : « Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. Il refuse que ses comptes rendus soient transmis sans son accord explicite et fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou électronique. »

Les conséquences d’un rapport d’expertise remis à la Justice sont possiblement difficiles pour les personnes concernées. Un cadre contenant est proposé par le premier Principe du Code qui indique le respect des droits fondamentaux de la personne et de son autonomie psychique :

Principe 1 : Respect des droits de la personne

« Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s'attache à respecter l'autonomie d'autrui et en particulier ses possibilités d'information, sa liberté de jugement et de décision. Il favorise l'accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix. Il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. Il préserve la vie privée et l'intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. Il respecte le principe fondamental que nul n'est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même. »

Or, le document transmis à la Commission contient, comme le souligne la demandeuse, la reproduction quasi-intégrale des propos recueillis auprès des différentes personnes entendues. L’importance de ce verbatim appelle à interroger un défaut de prudence. La psychologue a investigué bien au-delà des questions posées par le magistrat qui portaient essentiellement sur le conflit parental. En allant jusqu’à mentionner des éléments de la vie intime du couple, la question se pose du degré de nécessité du récit détaillé de l’histoire conjugale.

L’argumentation psychologique qui accompagne les propos rapportés risquait en effet de parasiter la décision du JAF et rendre potentiellement conflictuel l’exercice de l’autorité parentale conjointe. Leur utilisation dans une procédure judiciaire en diffamation, engagée ultérieurement par le mari à l’encontre de son ex-épouse, alimente l’hypothèse du manque de prudence et de discernement dans cette expertise rappelés au Principe 2 et à l’article 17 :

Principe 2 : Compétence

« Le psychologue tient sa compétence : […] de sa formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui. Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. […] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. »

Article 17 : « Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. La transmission à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci. »

De surcroît, si les propos rapportés dans le rapport ont été consignés suite à un enregistrement audio, qui plus est à l’insu du couple parental, alors se pose la question du non-respect de la dimension psychique de chacun. Le cadre de contrainte d’une expertise appelle en effet la pleine adhésion des personnes auditionnées au sens de l’article 12 :

Article 12 : « Lorsque l'intervention se déroule dans un cadre de contrainte […], le psychologue s’efforce de réunir les conditions d'une relation respectueuse de la dimension psychique du sujet. »

La Commission s’est ainsi interrogée sur la question de l’obligation et de la délimitation du secret professionnel à l’égard de ce qui est confié dans le cadre d’une expertise. En effet, cet exercice n’exonère pas le psychologue de son respect tel que l’énonce le Principe 1 déjà cité et le rappelle l’article 7 :

Article 7 : « Les obligations concernant le respect du secret professionnel s’imposent quel que soit le cadre d’exercice. »

Dans le cadre d'une expertise judiciaire, de par la délimitation du but assigné, le psychologue s’engage à répondre aux seules questions posées par le Juge. Dans la situation présente, la psychologue a engagé sa responsabilité voire sa notoriété dans la manière dont elle a rédigé son rapport. Rien n’indique cependant qu’elle ait manqué de clairvoyance, ni dans son analyse de la situation familiale, ni dans les préconisations finales de son écrit.

Néanmoins, il parait opportun de rappeler ici la nécessité pour un psychologue de distinguer d’une part ce qui relève de la stricte confidentialité des éléments recueillis ou compris sur la vie psychique et intime des personnes reçues, et d’autre part la manière dont sont étayées et élaborées, avec mesure et prudence, les hypothèses et conclusions à l’écrit, au sens de l’article 17 déjà cité, et cela pour rester respectueux du Principe 6 :

Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. »

Pour la CNCDP

La Présidente

Michèle GUIDETTI

La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur.

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