La demande est adressée par une avocate, conseil d’une épouse, dans le cadre d’une procédure de divorce engagée par l’époux de cette dernière. La demandeuse interroge la Commission à propos d’une attestation rédigée par le psychologue du mari qu’elle considère contraire à la déontologie et à l’éthique professionnelles. Elle estime que le psychologue a « tiré des conclusions quelques peu hâtives des propos rapportés par son patient » et qu’il a surtout fait état de faits qu’il n’a pu constater par lui-même comme des « violences psychologiques » de la part de l’épouse. Elle conteste aussi la mention d’un « diagnostic » psychologique.
Document joint :
Année de la demande : 2018 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Écrits psychologiques (Identification des écrits professionnels) |
AVIS AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné. Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière.
La Commission se propose de traiter du point suivant :
Forme et contenu de l’écrit dans le cas d’un divorce conflictuel : responsabilité professionnelle du psychologue, discernement et impartialité Des situations diverses conduisent le psychologue à rédiger des écrits qui peuvent prendre différentes formes. Ces écrits engagent sa responsabilité professionnelle comme l’indique le Principe 3. Principe 3 : Responsabilité et autonomie « Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer ». Par ailleurs, les écrits rédigés par un psychologue doivent respecter certaines caractéristiques formelles synthétisées dans l’article 20 du Code. Article 20 : « Les documents émanant d’un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l’identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l’objet de son écrit et sa signature… » A la lecture du document rédigé par le psychologue contesté, on constate que l’objet de l’écrit est absent. Il est assez difficile de qualifier précisément le type de document dont il est question car dans les seize lignes qui le composent figurent à la fois des éléments factuels (fréquence et prix des consultations) mais également des éléments d’ordre psychologique et médical ainsi que des éléments relatifs à des difficultés conjugales. Dans un divorce conflictuel, quand un psychologue reçoit un des membres du couple et qu’il rédige un document écrit à la demande de son patient, il doit prendre en considération sa diffusion potentielle. En acceptant de rédiger ce texte à la demande de son patient, le psychologue a autorisé de facto sa libre diffusion et s’expose à son utilisation en justice. Il aurait dû prendre ceci en considération et veiller à respecter le but qui lui était assigné tel que l’énonce le Principe 6. Principe 6 : Respect du but assigné « …En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. » Le document annexé comporte à la fois des avis (sur l’état psychologique de son patient) et des évaluations (sur la « violence psychologique » attribuée à l’épouse). Or, l’article 13 du code de déontologie indique précisément que l’évaluation du psychologue ne peut porter que sur des situations et des personnes qu’il a lui-même rencontrées. Article 13 : « Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées. Son évaluation ne peut cependant porter que sur des personnes ou des situations qu’il a pu examiner lui-même. » La Commission estime que le document aurait dû au moins indiquer qu’il s’agissait de paroles rapportées (en les mettant entre guillemets), à partir des dires de l’époux. Parallèlement, le Principe 1 relatif aux droits de la personne aurait dû l’alerter sur le respect de l’autonomie d’autrui : Principe 1 : Respect des droits de la personne « … Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s’attache à respecter l’autonomie d’autrui et en particulier ses possibilités d’information, sa liberté de jugement et de décision. » Il est reproché par ailleurs par la demandeuse de « poser un diagnostic ». Or, il appartient bien au psychologue, du fait de ses compétences, d’évaluer une personne et de confirmer ses capacités cognitives et intellectuelles comme l’indique l’article 5. Article 5 : « Le psychologue accepte les missions qu’il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences. » Cependant, dans le cas présent, le psychologue aurait dû se garder de porter des conclusions « réductrices ou définitives » relatives au fonctionnement psychologique des personnes comme l’indique l’article 25. Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes ». Il aurait dû également se garder de faire des liens de cause à effet entre un contexte conjugal conflictuel et le besoin de soutien psychologique de son patient dans un contexte qui n’est pas celui de l’expertise judiciaire et afin de préserver la poursuite de la prise en charge de l’époux. En outre, comme le précise le Principe 2, le psychologue doit faire preuve de prudence, de mesure et de discernement dans ses écrits de façon à veiller à ce que son action ne nuise à aucun des deux membres du couple et ce d’autant plus lorsque ses conclusions sont transmises à des tiers comme l’indique l’article 17, ce que ne pouvait ignorer le psychologue auteur du document. Principe 2 : Compétence « […] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. » Article 17 : « Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. La transmission à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci ». Dans le cas présent, et en l’absence d’objet de l’écrit, la présence d’éléments d’ordre psychologique et médical ne paraît pas opportune et ce d’autant plus que l’article 9 mentionne expressément que le psychologue a l’obligation d’informer ses patients des « objectifs, des modalités, des limites de son intervention et des éventuels destinataires de ses conclusions ». Article 9 : « … Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités, des limites de son intervention et des éventuels destinataires de ses conclusions ». Enfin, la Commission rappelle qu’au-delà de répondre à la demande d’un patient de disposer d’un écrit, le psychologue doit aussi tenir compte des éventuelles répercussions et des conséquences judiciaires que celui-ci peut avoir, qui plus est dans un cadre d’allégations de violences conjugales. Pour la CNCDP La Présidente Mélanie GAUCHÉ La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur. Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité. |
Avis 18-06.pdf |