La demandeuse est un médecin du travail, chef d’un service autonome de santé au travail, rattaché à une entreprise. Du fait d’un conflit persistant entre la demandeuse et une infirmière de ce service, une psychologue a été missionnée par l’entreprise pour mener une enquête afin de déterminer s’il y avait harcèlement moral de la part de la demandeuse et/ou insubordination de la part de l’infirmière.
Suite à cette enquête, la psychologue a remis un rapport complet ainsi qu’un résumé du rapport à la direction de l’entreprise. Le résumé de rapport a été transmis à la demandeuse. Le rapport complet, contenant des informations concernant les relations entre les deux professionnelles, mais aussi sur des éléments de leur personnalité, a été produit en justice, au Conseil des Prud’hommes.
La demandeuse met en cause le contenu de ce rapport qu’elle juge non conforme au respect du code de déontologie des psychologues.
Dans son courrier, elle formule différents reproches à la psychologue :
- de ne pas l’avoir suffisamment informée, ni n’avoir obtenu son consentement libre et éclairé pour effectuer « un diagnostic de personnalité »,
- de ne pas lui avoir transmis le rapport complet, dont elle n’a pu prendre connaissance que lors de sa présentation au Conseil des Prud’hommes,
- d’avoir manqué de rigueur (omissions d’éléments, faits rapportés de façon erronée),
- de ne pas avoir mentionné son numéro Adeli et de ne pas avoir signé le document,
- de ne pas l’avoir pas informée de son droit à demander une contre-évaluation.
Par ailleurs, elle questionne la Commission au sujet des « compétences » de la psychologue à statuer sur les questions « d’insubordination » et sur les conséquences de la « pénurie de médecins du travail ».
Enfin, elle demande à la Commission si « ce document peut […] être considéré comme valide dans un contexte judiciaire » et si elle peut récuser ce rapport d’enquête.
Documents joints :
- Copie du rapport d’enquête rédigé par la psychologue.
- Copie du résumé du rapport d’enquête rédigé par la psychologue.
Année de la demande : 2015 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Transmission de données psychologiques (Compte rendu à un service administratif avec accord et/ou information de l’intéressé)
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A la lecture de la demande, la Commission propose de traiter les points suivants : - Compétences et responsabilité du psychologue dans le cadre d’une évaluation en entreprise, - information et consentement de la personne lors d’une évaluation en situation de travail, - rigueur, prudence et méthodologie dans la rédaction d’un écrit destiné à l’employeur.
Un psychologue peut travailler dans différents types de structures et avoir des missions diverses. En fonction des objectifs fixés, des missions qui lui sont confiées et de ses pratiques, il choisit les méthodes et les techniques qu’il estime être adéquates et adaptées. Article 3 : Ses interventions en situation individuelle, groupale ou institutionnelle relèvent d’une diversité de pratiques telles que l’accompagnement psychologique, le conseil, l’enseignement de la psychologie, l’évaluation, l’expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, le travail institutionnel. Ses méthodes sont diverses et adaptées à ses objectifs. Son principal outil est l’entretien. Il est ainsi de sa responsabilité professionnelle de décider de la méthodologie mise en place, mais aussi de pouvoir l’expliquer. Principe 6 : Respect du but assigné Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. […] Principe 3 : Responsabilité et autonomie De même, il est de sa responsabilité de n’intervenir que dans le cadre de tâches et de missions qui sont à la fois compatibles avec sa fonction de psychologue d’une part, et avec ses compétences spécifiques, d’autre part. Article 5 : Le psychologue accepte les missions qu'il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences. Dans la situation présentée, la psychologue est missionnée pour mener une enquête dans un service afin de déterminer si le mode relationnel entre deux professionnels peut être caractérisé de harcèlement moral et s’il y a insubordination. Ces missions font partie du champ de compétences du psychologue, puisque celui-ci peut intervenir dans des situations institutionnelles et y pratiquer évaluation, expertise et conseil, comme cela est précisé dans l’article 3 du Code déjà cité. Le rapport est alors remis à celui qui en a fait la demande/au commanditaire, et pourra être destiné à étayer un dossier de procédure judiciaire. Afin de mener à bien ces objectifs, la psychologue a fait le choix d’une méthodologie, en toute responsabilité, et du fait de ses compétences propres. Principe 2 : Compétence
Quel que soit le contexte d’exerce du psychologue, la nature de ses missions, le psychologue doit informer la ou les personnes concernées des objectifs, de la manière dont va être menée cette action, des limites de celle-ci. Cette information doit être intelligible, explicite et complète. Dès lors, la ou les personnes peuvent librement consentir à l’intervention du psychologue. Article 9 : Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités, des limites de son intervention et des éventuels destinataires de ses conclusions. Par ailleurs, si le psychologue est amené à rédiger un écrit, destiné à des tiers, et contenant des éléments ou des informations acquises grâce à son action concernant les personnes rencontrées, il doit au préalable prévenir les personnes concernées et obtenir leur accord. Principe 6 : Respect du but assigné […] En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. Le psychologue doit aussi faire preuve de prudence dans la réponse qu’il formule à la question posée par l’entreprise ou l’organisme et doit ne transmettre que des éléments d’ordre psychologique nécessaires à la compréhension des réponses qu’il formule, visant à éclairer la situation. Article 17 : Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. La transmission à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci. Enfin, le psychologue doit informer les personnes qu’il évalue de leur droit à demander une contre évaluation, comme il est indiqué dans l’article 14. Article 14 : Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue informe les personnes concernées de leur droit à demander une contre évaluation.
La demandeuse considère que la psychologue a manqué de rigueur, en mentionnant des informations partielles, ne reprenant qu’une partie des témoignages en faveur de son positionnement partial par rapport à la question posée. De façon générale, le psychologue, dans sa mission d’enquête, doit apporter des informations donnant à ses appréciations un caractère aussi objectif que possible. Principe 4 : Rigueur Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. Par ailleurs, il est rappelé dans le Principe 2 du Code, que le psychologue doit veiller à mener son exercice en faisant preuve de prudence et d’impartialité. Principe 2 :Compétence[…] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. Il appartient alors au psychologue de transmettre ses conclusions avec les précautions qu’impose un contexte conflictuel. De surcroît, il sait que ses évaluations et interprétations restent relatives, que ses conclusions concernant les personnes ne sont pas définitives, et ne peuvent préjuger de leurs possibilités d’évolution. Article 25 : Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes. Enfin, la Commission tient à rappeler que les documents émis par le psychologue doivent comporter un certain nombre d’éléments permettant de les authentifier et de ne pas remettre en cause leur origine, surtout lors de la transmission à des tiers. Ces éléments sont précisés dans l’article 20 du Code : Article 20 : Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. Il refuse que ses comptes rendus soient transmis sans son accord explicite et fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou électronique. Pour la CNCDP La Présidente Sandrine SCHOENENBERGER |
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