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Un psychologue sollicite la commission à propos d’un collègue psychologue exerçant en libéral, qui lui a demandé conseil et dont il se fait le porte parole.
Le psychologue en libéral « a reçu une réquisition d’un procureur de la république lui demandant des renseignements professionnels sur une personne […] reçue en consultation [des] années auparavant » et dont la prise en charge est terminée. Le client n’est actuellement plus en mesure de s’exprimer suite à un sérieux problème de santé et des amis de celui-ci ont déposé plainte pour suspicion de maltraitance par un proche.
Le psychologue en libéral pose les questions suivantes :

  • « Au plan légal, un psychologue peut-il refuser de fournir des renseignements confidentiels en invoquant le secret professionnel, même sur réquisition ? Quelles sont les circonstances […] qui peuvent délier le psychologue de l’obligation de secret ? ». Sachant que les médecins sollicités dans la même affaire ont tous refusé de répondre et fourni une phrase-type du conseil de l’ordre des médecins, « quelle serait la formule idoine pour les psychologues ? ».
  • « […] [l’] information que M. « Untel a été suivi de telle à telle date » [peut-elle] être considérée comme une information à caractère secret ou confidentiel ? ».
  • « Un psychologue est-il tenu de conserver les dossiers de ses patients, et si oui, pendant combien de temps ? ».

Documents joints :
Copie de courriels échangés entre le demandeur et son collègue psychologue.

Posté le 12-08-2014 15:21:53

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2011

Demandeur :
Psychologue (Secteur non précisé)

Contexte :
Questionnement professionnel personnel

Objet de la demande :
Intervention d’un psychologue
Précisions :
Témoignage en justice

Questions déontologiques associées :

- Confidentialité (Confidentialité du contenu des entretiens/ des échanges)
- Confraternité entre psychologues
- Consentement éclairé
- Discernement
- Écrits psychologiques (Archivage (conservation des documents psychologiques au sein des institutions : dossiers, notes personnelles, etc.))
- Mission (Compatibilité des missions avec la fonction, la compétence, le Code de déontologie, dans un contexte professionnel donné)
- Reconnaissance de la dimension psychique des personnes
- Respect de la loi commune
- Respect de la personne
- Responsabilité professionnelle
- Secret professionnel (Contenu des entretiens / des séances de groupe)
- Transmission de données psychologiques (Compte rendu à un service administratif)

Au regard de la situation évoquée, la commission de déontologie fera porter sa réflexion sur les deux points suivants :

  • Le secret professionnel et le psychologue : respect du secret, situations particulières de dilemme éthique, nature des informations à caractère secret et confidentiel, levée du secret,
  • L’archivage et la conservation des écrits professionnels.

En préambule, attentive à la demande inhabituelle qui lui est faite par un psychologue, au nom d’un confrère en difficulté, la commission souhaite souligner l’importance de la solidarité entre pairs si justement rappelée par l’article 21 :
Article 21 - Le psychologue soutient ses collègues dans l'exercice de leur profession et dans l'application et la défense du présent Code. Il répond favorablement à leurs demandes de conseil et les aide dans les situations difficiles, notamment en contribuant à la résolution des problèmes déontologiques.
Cette coopération  entre psychologues est réaffirmée, précisément à propos de la conduite à tenir en matière de secret professionnel, dans la dernière phrase de l'article 13 auquel nous reviendrons plus loin :
Article 13 : […] Le psychologue peut éclairer sa décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés.

Le secret professionnel et le psychologue : respect du secret, situations particulières de dilemme éthique, nature des informations à caractère secret et confidentiel, levée du secret

Le secret professionnel est l'obligation faite à un professionnel de ne pas divulguer les secrets dont il est dépositaire de la part d'une personne (patient, client, résident, bénéficiaire, usager…) auprès de qui il intervient, ainsi que ce qu'il a appris sur cette personne à l'occasion de son intervention.

  • Que dit le code de déontologie des psychologues du secret professionnel ? Que faire en cas de dilemme éthique ?

Quand un texte de loi impose aux membres d'une profession (par exemple professionnels de santé) l'obligation du secret professionnel, ceux-ci peuvent en être déliés dans des cas très précis, mais en dehors de ces cas, la violation du secret expose à une sanction pénale (article 226-13 du code pénal).
Il n'existe pas de texte de loi soumettant le psychologue exerçant en libéral au secret professionnel. En revanche plusieurs évidences sont ici à rappeler qui indiscutablement sur le plan déontologique (mais très largement aussi sur le plan juridique) conduisent à considérer le psychologue comme un professionnel à qui s'impose l'obligation du secret professionnel.
Rappelons d'abord que le Code en son article 7 énonce la nécessaire adéquation des missions acceptées par le psychologue au code lui-même mais également à la loi commune.
Article 7 : Le psychologue accepte les missions qu'il estime compatibles avec ses compétences, sa technique, ses fonctions, et qui ne contreviennent ni aux dispositions du présent Code, ni aux dispositions légales en vigueur.
Il est évident que le principe affirmé par la loi, selon lequel toute personne a droit au respect de sa vie privée et de son intimité (article 9 du Code Civil et article 226-1 du Code Pénal) s'applique sans réserve au client ou au patient du psychologue. Ce principe est d'ailleurs exposé dès le Titre 1 du Code et explicitement rapporté au secret professionnel qui en est le garant.
Principe I-1, Respect des droits de la personne : […] Le psychologue préserve la vie privée des personnes en garantissant le respect du secret professionnel, y compris entre collègues. Il respecte le principe fondamental que nul n'est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même.
L'article 13 va plus loin en rapprochant ces deux impératifs que sont le respect de la loi commune et le respect des droits de la personne et envisage le dilemme éthique qui peut se présenter au psychologue quand le risque d'atteinte à l'intégrité physique de la personne qui consulte ou d'un tiers est révélé sous le sceau de la confidence.

Article 13 : Le psychologue ne peut se prévaloir de sa fonction pour cautionner un acte illégal, et son titre ne le dispense pas des obligations de la loi commune. […] Dans le cas particulier où ce sont des informations à caractère confidentiel qui lui indiquent des situations susceptibles de porter atteinte à l'intégrité psychique ou physique de la personne qui le consulte ou à celle d'un tiers, le psychologue évalue en conscience la conduite à tenir, en tenant compte des prescriptions légales en matière de secret professionnel et d'assistance à personne en danger. Le psychologue peut éclairer sa décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés.
Il est rappelé que face à ce type de dilemme impliquant le secret professionnel, le psychologue « évalue en conscience la conduite à tenir ». Cette précision a son importance car cette évaluation en conscience, le psychologue ne peut la faire sans référence à sa mission fondamentale telle qu'elle est établie par l'article 3 du Code.
Article 3 – La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur la composante psychique des individus considérés isolément ou collectivement.
Il est incontestable qu'une activité professionnelle qui « porte sur la composante psychique des individus », est une activité qui oblige à pénétrer dans l'intimité des personnes et exige leur confiance. Une telle activité, exercée, de surcroit, par le titulaire d'un titre protégé qui se réfère à un code professionnel, fait de ce dernier ce qu'il est convenu d'appeler un « confident nécessaire ». Cette qualité de « confident nécessaire » s'applique de façon difficilement contestable à un psychologue praticien assurant des consultations et des suivis à finalité thérapeutique. 

  • Que sont des informations à caractère secret et confidentiel ?

Un secret (du latin secretus et secernare, « mettre à part »), est une chose que l’on ne doit dire ou montrer à personne et qui doit rester cachée. Il peut concerner des aspects très divers de la vie privée, familiale, professionnelle, sociale… L’expression « information à caractère secret » est utilisée dans le code pénal pour désigner une information liée à l’intimité d’une personne ou à sa vie privée.
L’adjectif confidentiel (du latin confidens : confiant), caractérise ce que se dit en confidence, ce qui doit rester secret. L’information confidentielle est donc proche de l’information à caractère secret à la nuance près qu’elle met davantage l’accent sur la notion de confiance, si précieuse pour tous les professionnels appelés à recevoir des « confidences » dans le cadre de leur exercice.

 

 L’information que M. « Untel a été suivi de telle à telle date » est donc une information à caractère plutôt confidentiel. S’agissant de la santé des personnes, il existe en outre un consensus pour admettre que le secret professionnel est un impératif.

  • Quelles circonstances permettent la levée du secret ?
  • L’article 13, déjà cité, est à cet égard très clair :

Article 13 : […] Dans le cas particulier où ce sont des informations à caractère confidentiel qui lui indiquent des situations susceptibles de porter atteinte à l'intégrité psychique ou physique de la personne qui le consulte ou à celle d'un tiers, le psychologue évalue en conscience la conduite à tenir, en tenant compte des prescriptions légales en matière de secret professionnel et d'assistance à personne en danger. Le psychologue peut éclairer sa décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés.
C’est donc uniquement dans le cadre de situations pouvant porter atteinte à l’intégrité d’une ou de personne(s) que le psychologue doit évaluer s’il peut révéler des informations à caractère secret et être ainsi délié du secret professionnel.
Le code de déontologie des psychologues n’ayant cependant pas actuellement de valeur légale, le psychologue doit en toute circonstance et prioritairement se référer à la loi commune qui prévaut, en substance les articles 226-13, 226-14 et 434-3 du code pénal, ainsi que l’article 109 du code de procédure pénale.
Concernant la levée du secret, l’article 226-14 énonce les cas de figure dérogatoires où l’article 226-13 ne s’applique pas, la révélation du secret étant alors autorisée. Ce sont notamment les cas où :

  • La loi impose ou autorise la révélation du secret (cela renvoie à d’autres articles du code pénal),
  • Des privations ou sévices sont infligés à un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

Toutefois, les personnes astreintes au secret dans l’article 226-13 sont exceptées de cette obligation de dénoncer.
Dans la situation évoquée, compte-tenu du fait que la personne n’est pas en mesure de se protéger en raison de son incapacité et qu’il existe une suspicion de maltraitance par un proche, il semble bien qu’il s’agisse d’un cas de figure dérogatoire à l’obligation du secret.
D’un autre coté,  les renseignements détenus par le psychologue sont anciens, le suivi de la personne est achevé et elle n’est pas en mesure d’exprimer son consentement à la divulgation d’informations la concernant, comme le recommande l’article 9 :
Article 9 - Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement de ceux qui le consultent […].
Le psychologue est donc confronté à un dilemme éthique. Face à celui-ci, en fonction de la connaissance qu’il a de la situation, c’est « en conscience » et en gardant à l’esprit l’intérêt supérieur de la personne, que le psychologue devra se positionner et déterminer s’il peut ou non, révéler d’éventuelles informations à caractère secret, répondant ainsi à la demande de la justice (cf. point a)). Le cas particulier de la réquisition par un procureur de la République répond à un autre article du code de procédure pénale (article 109) mais ne modifie pas l’obligation de secret pour le psychologue ; s’il peut être tenu de comparaître et de prêter serment, il a la possibilité d’arguer de son obligation de secret professionnel.

L’archivage et la conservation des écrits professionnels.

Un psychologue exerçant en libéral peut constituer des dossiers patients/clients dans lesquels il verse ses observations, bilans, comptes rendus… et notes personnelles. Il s’agit d’un usage mais pas d’une obligation, comme cela pourrait l’être en tant qu’agent d’un service public. In fine, il reste responsable de l’organisation et conservation de ses dossiers, que ce soit sous forme papier ou informatique.
Principe I-3, Responsabilité : Outre les responsabilités définies par la loi commune, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Il s'attache à ce que ses interventions se conforment aux règles du présent Code. […] Il répond donc personnellement de ses choix et des conséquences directes de ses actions et avis professionnels.
Dans le cas où il produit des écrits, il doit respecter un certain nombre de règles énoncées par les articles 14 et 20 :
Article 14 - Les documents émanant d'un psychologue (attestation. bilan, certificat, courrier, rapport, etc.) portent son nom, l'identification de sa fonction ainsi que ses coordonnées professionnelles, sa signature et la mention précise du destinataire. Le psychologue n'accepte pas que d'autres que lui-même modifient, signent ou annulent les documents relevant de son activité professionnelle. Il n'accepte pas que ses comptes rendus soient transmis sans son accord explicite, et il fait respecter la confidentialité de son courrier.
Article 20 - Le psychologue connaît les dispositions légales et réglementaires issues de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. En conséquence, il recueille, traite, classe, archive et conserve les informations et données afférentes à son activité selon les dispositions en vigueur. […].
Le code n’indique cependant aucun délai de conservation des documents archivés par le psychologue exerçant en libéral. Dans la mesure où ces écrits ne sont utiles qu’à lui seul, il appartient au psychologue de décider, en fonction des informations collectées, de la problématique du patient, du contexte de la consultation, de la durée du suivi, de la possibilité de consultations ultérieures après une période d’arrêt, etc., du délai durant lequel il va les conserver.
Une durée de conservation minimale de dix ans, calquée sur le délai de prescription en matière de responsabilité civile professionnelle (1) , est conseillée. Pour un psychologue exerçant sur le long terme auprès d’une clientèle stable, elle peut même s’étendre à la carrière entière.

Avis rendu le 23 mai 2011
Pour la CNCDP
La Présidente
Marie-Claude GUETTE-MARTY

 

Articles du code cités dans l'avis : Principes I-1, I-3 ; Articles 3, 7, 9, 13, 14, 20, 21.

 

(1) Délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation du dommage, loi du 4 mars 2002.

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AVIS 11-04 .doc

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