Le demandeur, divorcé et père de trois enfants âgés de 7, 10 et 13 ans, sollicite la Commission au sujet de la pratique d’une psychologue. Suite au divorce prononcé il y a deux ans, le Juge Aux Affaires Familiales (JAF) avait décidé d’une résidence alternée pour l’ensemble de la fratrie.
Le demandeur précise que son ex-épouse a sollicité une psychologue pour qu’elle reçoive leurs trois enfants, sans qu’il en soit informé dans un premier temps. Puis, ayant eu connaissance de leur suivi, il va la rencontrer et lui demande, lors de cette entrevue, un compte rendu du suivi de ses enfants. Or, à l’occasion d’une requête judiciaire déposée par son ex-épouse, il apprend que la psychologue a produit un écrit rédigé avant leur entretien. Dans cet écrit, elle mentionne des troubles chez chacun des enfants en les mettant en lien avec leur mode de résidence alternée.
Le demandeur aurait alors tenté de la joindre à plusieurs reprises pour obtenir des explications, mais ses courriers et appels seraient restés sans réponse. Compte tenu de cette situation, il lui aurait demandé d’interrompre le suivi psychologique de ses enfants. Celle-ci aurait pourtant maintenu les consultations malgré l’opposition de ce père. Il indique enfin qu’elle a rédigé, six mois plus tard, un nouveau compte-rendu, préconisant une révision des modalités de résidence pour l’ensemble de la fratrie, en faveur de la mère.
Selon le demandeur, ses enfants ont été instrumentalisés par leur mère afin que le JAF modifie les modalités de résidence alternée. Il souhaite connaître la position de la Commission à propos de l’intervention de cette psychologue qu’il estime « inadmissible », tant au niveau de sa partialité dans le conflit qui l’oppose à son ex-compagne que de son positionnement « extrêmement préjudiciable » vis-à-vis de ses enfants.
Documents joints :
Document rédigé par le demandeur, précisant le déroulement de l’intervention de la psychologue.
Année de la demande : 2020 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Autorisation des détenteurs de l’autorité parentale |
La Commission propose de traiter les points suivants :
Les psychologues sollicités dans le contexte particulier d’une séparation parentale sont confrontés à des situations complexes. Le prérequis à tout suivi psychologique d’un mineur est notamment la recherche de consentement des parents, comme de l’enfant, tel que mentionné dans l’article 11 :
Article 11 : « L'évaluation, l'observation ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposés par le psychologue requièrent outre le consentement éclairé de la personne, ou moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l'autorité parentale ou des représentants légaux. » Il est dès lors fondamental que le psychologue précise auprès des deux parents et à l’enfant la nature de son intervention. Ces derniers doivent, notamment, comprendre les objectifs et les limites de ce travail, comme précisé dans l’article 9. Article 9 : « Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent [...]. Il a donc l'obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions. » D'une façon générale, lorsqu’un psychologue reçoit un enfant en consultation, la Commission estime que le consentement des deux parents n'est pas nécessaire. Néanmoins, si le premier entretien conduit à un suivi régulier, elle préconise, en se référant à l'article 11 du Code cité ci-dessus, que les deux parents en soient informés et qu'ils aient formulé leur accord. Cela est d'autant plus nécessaire quand les parents sont séparés. Cette disposition permet aux deux parents de s’impliquer dans le suivi psychologique de leur enfant. Le consentement libre et éclairé de toutes les personnes concernées est le garant d’un travail compréhensible et porteur de sens. Une seule exception peut cependant être retenue, lorsque le mineur s’oppose catégoriquement à ce que son ou ses parents soient informés de sa démarche vers un psychologue. Dans ce cas, l’article 10 du Code peut être invoqué :
Article 10 : « Le psychologue peut recevoir à leur demande, des mineurs ou des majeurs protégés par la loi en tenant compte de leur statut, de leur situation et des dispositions légales et réglementaires en vigueur. » Dans la situation où le psychologue est informé d’un contexte conflictuel suite à une séparation parentale, il doit faire preuve de discernement en réfléchissant aux enjeux de la demande qui lui est adressée. Il veille à avoir le recul nécessaire, comme le mentionne la deuxième partie du Principe 2 :
Principe 2 : Compétence « [...] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. » Dans le cas présent, la psychologue qui a reçu les enfants, à la demande de la mère, semble avoir choisi de ne pas rencontrer le père au début de son intervention et de ne pas l'avoir informé de la mise en place des suivis psychologiques pour ses trois enfants, tout en produisant deux comptes rendus. Or, le Principe 4 indique que le psychologue doit être en mesure d'expliciter ses décisions et de donner des arguments sur ses choix d’intervention.
Principe 4 : Rigueur « Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. » De plus, conscient de la complexité des enjeux existant entre deux parents séparés, le psychologue veille à prendre en compte la vulnérabilité psychique particulière de ou des enfants. Il s’attache à intervenir dans le respect de la dimension psychique et dans un traitement équitable de tous les protagonistes impliqués, comme l’y invitent le Principe 1 et l’article 2 du Code :
Principe 1 : Respect des droits de la personne « Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s’attache à respecter l’autonomie d’autrui et en particulier ses possibilités d’information, sa liberté de jugement et de décision. Il favorise l’accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix. Il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. […]. » Article 2 : « La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. » Dans la situation présente, la psychologue ne semble pas avoir informé le père du premier compte-rendu, pourtant remis à la mère avant leur rencontre. Elle n’aurait pas non plus répondu à ses messages et appels ultérieurs, y compris lorsque ce dernier s’est opposé à la poursuite de ce suivi. Or, le respect de la dimension psychique de toutes les personnes impliquées, enfants et parents, est fondamental. La psychologue aurait dû davantage tenir compte du Principe 3, qui rappelle que le psychologue a le choix de ses méthodes, mais qu'il engage aussi sa responsabilité professionnelle dans ses interventions :
Principe 3 : Responsabilité et autonomie « Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu'il formule [...]. » Dans le contexte tel que présenté, le but assigné à la psychologue était d'accompagner psychiquement des enfants dans une situation de conflit parental. Leur intérêt supérieur de l'enfant aurait dû la guider dans son intervention comme dans ses écrits, tel que précisé au Principe 6 :
Principe 6 : Respect du but assigné « Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. »
Le psychologue peut rédiger, à son initiative ou à la demande d’un tiers, des documents de diverses natures. Ceux-ci relèvent d’un acte professionnel, engageant sa responsabilité au sens du Principe 3, déjà cité. Quel qu’en soit l’objet ou encore le contexte dans lequel il est rédigé, l’écrit du psychologue, pouvant être communiqué à un tiers, nécessite de prendre en considération l’usage qui pourrait en être fait, comme le rappelle l’article 17 : Article 17 : « Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire ». Dans le cas présent, la psychologue a rédigé, à six mois d’intervalle, deux écrits intitulés « comptes rendus de suivi psychologique » communs aux trois enfants, et dont les contenus restent sensiblement les mêmes. Ils semblent avoir été tous deux transmis uniquement à la mère. Or, le fait d’avoir été sollicitée par un seul des parents devait l’inviter à davantage de prudence et d’impartialité afin de ne pas risquer de renforcer le conflit parental, ou encore de cristalliser le conflit de loyauté dans lequel des enfants peuvent se trouver dans un tel contexte. Le Principe 2, déjà cité, qui fonde son action en termes de discernement et d’impartialité, guide le psychologue dans ses interventions donc aussi dans ses écrits. De plus, la psychologue ne semble pas non plus avoir tenu compte des recommandations de l’article 25 du Code. En effet, en prenant appui sur les éléments recueillis principalement auprès de la mère et des enfants, et du père lors d’une seule entrevue, elle ne pouvait avoir accès qu’à une lecture partielle de la dynamique familiale. Ceci aurait pu l’inciter, dans son écrit, à formuler son avis avec prudence et avec une mise en perspective critique de ses appréciations : Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes ». En conclusion, au vu de la complexité des situations de séparation parentale, comme celle présentée ici, et de l’intervention d’un magistrat, la Commission insiste sur le fait que le psychologue doit s’efforcer de respecter équitablement les intérêts de l’enfant et ceux des parents. Il s’applique à ce que ce principe d’équité soit observé dans ses interventions et ses écrits. Pour la CNCDP La Présidente Michèle GUIDETTI La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur. Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité. |
20-14_final_15072020_AI.pdf |