RÉSUMÉ DE LA DEMANDE
Le demandeur, divorcé de la mère de ses deux enfants, saisit la Commission pour savoir si la psychologue ayant assuré une prise en charge familiale étalée sur plusieurs années « avait bien le droit et la légitimité d’agir comme elle l’a fait ».
Neuf ans plus tôt, il avait contacté cette psychologue pour engager un travail individuel qui s’est déroulé la première année au rythme d’une rencontre mensuelle. Un an après, à sa demande, le dispositif évolue vers une prise en charge conjointe avec son épouse. Ces entretiens de couple dureront 4 mois et déboucheront finalement sur la reprise du travail initialement engagé avec lui et ce, dorénavant, en parallèle d’un suivi auprès de sa femme par la même professionnelle.
Six mois plus tard, estimant que le demandeur n’a « plus besoin de ses services », la psychologue lui aurait intimé de s’arrêter là et ce, tout en poursuivant les séances entamées avec son épouse. Tout en ayant accepté cette annonce, le demandeur se dit très surpris par cette position, nourrissant alors des doutes quant à la pertinence de cette interruption.
Au cours des cinq années suivantes, le demandeur s’est séparé de son épouse et a instauré avec elle une résidence alternée pour leur fils. La mère aurait décidé, il y a deux ans, d’orienter le garçon vers cette même psychologue, suite à un « burn-out scolaire » ayant entraîné une déscolarisation momentanée du lycée dans lequel il est.
Après quatre rencontres entre la psychologue et l’adolescent, le demandeur est invité à un entretien auquel participe son ex-épouse. C’est au cours de ce rendez-vous qu’est évoqué le diagnostic de dépression de leur fils. Il aurait été préconisé que l’adolescent bénéficie désormais « d’un endroit unique pour six mois, voire un an. Et de préférence, en accord avec sa mère, chez cette dernière. »
Le demandeur aurait évoqué la nécessité de solliciter un second avis professionnel et d’engager une prise en charge psychologique de l’adolescent plutôt que de favoriser son éloignement d’avec lui. Ces demandes n’auraient reçu « qu’un long silence » de la part de la psychologue et de son ex-épouse, elle-même diplômée en psychologie sociale. Cela signant, selon lui, une forte connivence entre les deux femmes et une incrimination à son égard. Il s’est résigné, faisant « confiance [à] leur expertise », et a accepté la situation en l’état.
Aujourd’hui, le demandeur consulte la Commission quant au respect de la déontologie par cette psychologue ayant reçu plusieurs protagonistes d’un même foyer en diverses occasions et dispositifs. A ce titre, il souhaite savoir s’il est recevable que :
Document joint : Aucun
Année de la demande : 2018 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Respect de la personne |
AVIS AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné. Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière.
La Commission se propose de traiter les deux points suivants :
1- Distinction des missions auprès des membres d’une même famille : but assigné, discernement et rigueur Le Code de déontologie concerne chaque psychologue dans l’exercice de ses fonctions et l’usage de son titre, ceci en accord avec l’article premier du Code. Plus précisément, l’exercice de la psychothérapie, qui peut concerner également d’autres professions, constitue l’une des potentielles pratiques du psychologue, comme l’énonce l’article 3 du code de déontologie : Article 1 : « Le psychologue exerce différentes fonctions à titre libéral, salarié du secteur public, associatif ou privé. Lorsque les activités du psychologue sont exercées du fait de sa qualification, le psychologue fait état de son titre. » Article 3 : « Ses interventions en situation individuelle, groupale ou institutionnelle relèvent d’une diversité de pratiques telles que l’accompagnement psychologique, le conseil, l’enseignement de la psychologie, l’évaluation, l’expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, le travail institutionnel. Ses méthodes sont diverses et adaptées à ses objectifs. Son principal outil est l’entretien. » Ladite pratique requiert, comme tout autre intervention du psychologue, que celui-ci adapte ses méthodes de travail au cadre dans lequel il intervient et ce, en accord avec le but assigné à son intervention, tel que rappelé dans le Principe 6 : Principe 6 : Respect du but assigné « Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. » Dans la situation présente, la demande initiale est celle d’un homme en souffrance adressée à une psychologue qui, en retour, lui propose une prise en charge individuelle. En acceptant d’accompagner le demandeur dans un travail de psychothérapie, la psychologue lui assure d’être ainsi en accord avec ses compétences, comme le veut le Principe 2 : Principe 2 : Compétence « Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu'il sait ne pas avoir les compétences requises. » Il revient donc à chaque professionnel de savoir définir au mieux les limites de son espace d’intervention. En cela, si le cadre de prise en charge a évolué, après un an de travail individuel et à la demande du patient, vers une prise en charge du couple et ce, pendant quatre mois, la Commission considère que cela n’est en rien discutable si la psychologue pouvait faire état d’une compétence en la matière, comme le rappelle l’article 5 : Article 5 : « Le psychologue accepte les missions qu'il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences. » En revanche, la reprise d’un travail individuel avec le demandeur dès lors en parallèle d’un suivi engagé pareillement auprès de son épouse mérite d’être interrogé. En effet, il est acquis que la question méthodologique de l’implication de tout psychologue relève de la responsabilité de celui-ci, comme le stipule le Principe 3 : Principe 3 : Responsabilité et autonomie « Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. » Mais il n’en demeure pas moins que l’existence de deux espaces thérapeutiques définis par une même professionnelle auprès de deux personnes entretenant un lien d’intimité a de quoi surprendre. Ce positionnement semble même avoir fait fi de la rigueur introduite dans le Principe 4 : Principe 4 : Rigueur « Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. » La Commission s’est interrogée sur ce qui aura guidé la réflexion de cette psychologue pour prendre le risque d’induire une telle confusion potentielle des espaces. Elle tient à cet égard à rappeler la mission fondamentale du psychologue définie dans l’article 2 : Article 2 : « La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus considérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte. » Ainsi s’est posé pour la Commission la question de savoir jusqu’à quel point cette mission fondamentale a pu être assurée dans la prise en charge individuelle des deux membres du couple. 2-Prise en charge d’un mineur dans un contexte de séparation parentale : respect des personnes et impartialité Dans le cas où un psychologue est sollicité par un des parents pour une prise en charge d’un mineur, il devrait intervenir en cohérence avec les obligations légales et de respecter les droits des détenteurs de l’autorité parentale, tels qu’il est mentionné dans l’article 11. Article 11 : « L’évaluation, l’observation ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposés par le psychologue requièrent outre le consentement éclairé de la personne, ou au moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l’autorité parentale ou des représentants légaux. » Qui plus est dans un contexte de séparation, le psychologue cherche à accueillir toute demande parentale avec discernement, prudence et impartialité comme l’y invite le Principe 2. Principe 2 : Compétence « Le psychologue tient sa compétence […] de sa formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui. Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compétences requises. Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. » Il s’assure que son intervention respecte les droits fondamentaux des personnes qu’il reçoit, en particulier leur autonomie et leur liberté de décision. Il favorise le cas échéant l’accès au professionnel de leur choix, selon le Principe 1. Principe 1 : Respect des droits de la personne « Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s’attache à respecter l’autonomie d’autrui et en particulier ses possibilités d’information, sa liberté de jugement et de décision. Il favorise l’accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix. Il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. […] » Dans la situation soumise à la Commission, le demandeur précise que son ex-compagne l’avait préalablement informé de sa sollicitation pour leur fils de la même psychologue ayant reçu leur couple cinq ans plus tôt, à la fois individuellement et conjointement. Ce nouvel accompagnement, réalisé durant quatre séances auprès de l’adolescent, a conduit la psychologue à organiser un entretien réunissant les deux parents. Le cadre d’intervention de cette psychologue a alors pu être fragilisé par le fait d’avoir été antérieurement impliquée, de manière différente, auprès des mêmes parents. Ceci soulevant alors un risque de manquer de prudence et d’impartialité au regard de la demande parentale. Par ailleurs, un psychologue mène son intervention en étant conscient des limites de son travail, tel que cela est notamment précisé dans l’article 25. En articulation avec l’article 6, il est préférable de favoriser une orientation vers un autre professionnel s’il estime ne pas pouvoir intervenir avec mesure, discernement et impartialité. Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes. » Article 6 : « Quand des demandes ne relèvent pas de sa compétence, il oriente les personnes vers les professionnels susceptibles de répondre aux questions ou aux situations qui lui ont été soumises. » Ici, faire appel à l’évaluation d’un autre professionnel aurait certainement permis aux parents de bénéficier d’une prise en charge et une analyse exclusivement centrées sur l’adolescent. Le demandeur souligne que son ex-femme, en présence de la psychologue, lui aurait indiqué que son fils « ne voulait a priori plus consulter ». Aucun élément ne vient préciser si la psychologue suivait encore la mère au moment où elle a accepté de recevoir l’adolescent. Mais la Commission s’est interrogée sur la façon dont le jeune avait pu investir son suivi, dans la mesure où il était réalisé par la psychologue qui avait également pris en charge ses parents ; et à quel point cela avait pu influencé son refus. Tout ceci questionne enfin, selon le Principe 1 déjà cité, les précautions prises par cette psychologue afin d’évaluer directement auprès de lui, au regard de son âge et sa maturité, son désir de poursuivre un suivi psychologique avec un autre professionnel à distance de toute influence parentale.
Pour la CNCDP La Présidente Mélanie GAUCHÉ La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur. Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité. |
Avis 18-19.pdf |