Année de la demande : 2023 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Autonomie professionnelle |
CNCDP, Avis N° 2023 - 10 Avis rendu le 30 septembre 2023 Principes : 3, 4, 5, 6 - Titre I : Exercice professionnel - Articles : 5, 9, 11, 13, 15, 18, 19, 20, 22 Le code de déontologie des psychologues concerne les personnes habilitées à porter le titre de psychologue conformément à la loi n°85-772 du 25 juillet 1985 (JO du 26 juillet 1985). Le code de déontologie des psychologues de 1996 a été actualisé en février 2012, puis en septembre 2021, et c’est sur la base de celui-ci que la Commission rend désormais ses avis. RÉSUMÉ DE LA DEMANDE La Commission est sollicitée par la mère d’une adolescente de quinze ans, dans un contexte de séparation conflictuelle avec le père. La demandeuse expose qu’elle a été à l’initiative de la séparation, suite à des violences physiques et psychologiques du père dont l’adolescente aurait été témoin. Le Juge aux Affaires Familiales (JAF) a été sollicité en vue de la mise en place d’une garde alternée. Le père de l’adolescente a posé comme condition à l’accueil de la jeune fille au domicile de la mère l’installation d’un verrou permettant à la jeune fille d’interdire l’accès de sa chambre. La mère indique avoir accédé à cette exigence et souligne que, lors de ses séjours, l’adolescente s’est repliée dans sa chambre refusant de partager le quotidien et les activités. La jeune fille aurait manifesté à plusieurs occasions de la violence à l’encontre de sa mère. Compte tenu de ces éléments, la demandeuse indique qu’elle a interpellé le Juge des Enfants (JE) et a fini par renoncer à la garde alternée au profit de droits de visite et d’hébergement élargis à son domicile. Malgré ces changements, elle fait part de l’absence d’évolution dans le comportement de sa fille, qu’elle attribue à l’influence du père. Durant cette période, un suivi psychothérapeutique de l’adolescente aurait été mis en place à l’initiative du père. La demandeuse affirme que ce suivi a été mis en place « à son insu ». Elle soulève également certains points relatifs à la pratique de cette professionnelle exerçant au sein d’un cabinet libéral ainsi qu’au contenu des attestations produites devant la justice. La demandeuse s’interroge notamment quant au respect de l’article 11 du Code, dans la mesure où elle n’a pas été sollicitée par la psychologue lors de la mise en place du suivi. De plus, elle questionne la compétence de la psychologue à établir l’absence de lien d’emprise du père sur sa fille, en arguant que ce diagnostic relèverait de la compétence d’un expert psychiatre. Enfin, elle soulève l’insistance avec laquelle la psychologue légitime dans l’un de ses écrits la demande de l’adolescente de disposer d’un verrou, ce qui aurait contribué à la rupture du lien mère-fille. Page 2 sur 8 Documents joints : - Copie d’un document intitulé « procès-verbal de constat » rédigé par un huissier, numérotée. - Copie d’un certificat médical rédigé par un médecin, numérotée. - Copie d’un document CERFA intitulé « attestation de témoin » rédigée par un proche de la demandeuse et annexée de photographies et de la copie de la carte d’identité de l’auteur, numérotée. - Copie d’un document intitulé « attestation psychologique » rédigée par la psychologue et accompagnée du courriel adressé à la demandeuse, numérotée. - Copies de deux documents intitulés « attestation psychologique » rédigée par la psychologue, tamponnées et numérotées. - Copie d’un échange de courriels entre la demandeuse et la psychologue, numérotée. - Copie de deux factures d’honoraires rédigées par la psychologue exerçant en cabinet et adressées à la demandeuse, accompagnées du courriel adressé à la demandeuse, numérotée. - Copie d’une page d’une pièce judiciaire rédigé par le greffe d’un Tribunal Judiciaire, numérotée. - Copie d’une double page d’un carnet de santé, numérotée. - Copie d’un courriel rédigé par la demandeuse et adressé au père, numérotée. - Copie d’une page du site internet de la psychologue exerçant en cabinet, numérotée. AVIS AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné. Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière. Page 3 sur 8 La Commission se propose de traiter des deux points suivants : - La psychothérapie d’un mineur, dans un contexte de conflit parental - Les écrits du psychologue, dans un contexte de conflit parental 1. La psychothérapie d’un mineur, dans un contexte de conflit parental Le psychologue peut être sollicité pour accompagner un mineur dans divers contextes. Lorsqu’il fait le choix de répondre à cette demande, le psychologue peut s’appuyer sur le code de déontologie pour concevoir son cadre d’exercice et son intervention. Ainsi, pour toute intervention auprès d’un mineur, il est recommandé de recueillir son consentement et de prendre attache avec les deux parents afin d’établir la mise en oeuvre et les modalités d’un suivi psychothérapique, comme le précisent les articles 9 et 11 du Code : Article 9 : « La·le psychologue recherche systématiquement le consentement libre et éclairé de ceux qui la·le consultent ou qui participent à une évaluation ou une expertise. Elle·il les informe de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités, du coût éventuel et des limites de son intervention. Le cas échéant, elle·il leur indique la possibilité de consulter un·e autre praticien·ne. » Article 11 : « Dans le cadre d’une pratique auprès d’un·e mineur·e, la·le psychologue s’assure autant que possible de son consentement. Elle·il recherche l'autorisation des représentants légaux dans le respect des règles relatives à l'autorité parentale. » Si la psychologue fait état dans son premier écrit du consentement de l’adolescente à la démarche de consultation, en revanche, elle ne fait apparaître aucun élément concernant l’accord des deux parents à la psychothérapie engagée avec leur fille. En s’appuyant sur les trois attestations rédigées par la professionnelle, seul le père de la jeune fille semble avoir été reçu lors de la première consultation et ce, « pendant quelques minutes ». La situation familiale présentée par la demandeuse met en évidence un contexte conflictuel, des difficultés relationnelles ainsi qu’un important mal-être de l’adolescente associé à une symptomatologie somato-psychique. Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, il aurait été judicieux – et conformément aux dispositifs légaux – d’associer les deux parents au démarrage du travail psychothérapeutique. Cela aurait permis à la psychologue, en concertation avec les parents, de définir clairement les axes de son intervention au regard de ses compétences, et de garantir son impartialité, comme le prévoient le Principe 6 et l’article 5 : Page 4 sur 8 Principe 6 : Rigueur et respect du cadre d’intervention « Les dispositifs méthodologiques mis en place par la·le psychologue répondent aux objectifs de ses interventions, et à eux seulement. Les modes d'intervention choisis et construits par la·le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et adaptée à son interlocuteur, ou d’une argumentation contradictoire avec ses pairs de leurs fondements théoriques et méthodologiques. » Article 5 : « En toutes circonstances, la·le psychologue fait preuve de mesure, de discernement et d’impartialité. La·le psychologue accepte les missions qu'elle·il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences dans le respect du présent Code. Si elle·il l’estime utile, elle·il peut orienter les personnes ou faire appel à d’autres professionnels. » En effet, si les informations présentées par la demandeuse sont exactes, la psychologue aurait gagné à mettre en place une communication équitable avec chacun des parents et à leur présenter son dispositif thérapeutique de façon claire et intelligible. Le Principe 5 du Code rappelle la responsabilité et l’autonomie du psychologue dans la conception de son intervention : Principe 5 : Responsabilité et autonomie professionnelle « Dans le cadre de sa compétence professionnelle et de la nature de ses fonctions, la·le psychologue est responsable, en toute autonomie, du choix et de l'application de ses modes d’intervention, des méthodes ou techniques qu'elle·il conçoit et met en oeuvre, ainsi que des avis qu’elle·il formule. Elle·il défend la nécessité de cette autonomie professionnelle inhérente à l’exercice de sa profession notamment auprès des usagers, employeurs ou donneurs d’ordre. Au préalable et jusqu’au terme de la réalisation de ses missions, elle·il est attentif·ve à l’adéquation entre celles-ci et ses compétences professionnelles. Elle·il peut exercer différentes missions et fonctions. Il est de sa responsabilité de les distinguer et de faire distinguer leur cadre respectif. » La psychologue semble avoir construit son intervention dans une perspective psychothérapeutique individuelle. Les difficultés de l’adolescente relatées dans les écrits soulèvent d’importantes préoccupations concernant les relations aux parents. Toutefois, la méthodologie exposée par la psychologue interroge quant à ses possibilités d’évaluer la nature de ces relations. Page 5 sur 8 Dans son intervention et ses préconisations, il apparaît que la psychologue aurait gagné à faire preuve de plus de prudence, en l’absence d’observation directe des relations familiales, comme le précisent les articles 13 et 22 : Article 13 : « L’évaluation relative aux personnes ne peut se réaliser que si la·le psychologue les a elle·lui-même rencontrées. La·le psychologue peut s’autoriser à donner un avis prudent et circonstancié dans certaines situations, sans que celui-ci ait valeur d’évaluation. » Article 22 : « La·le psychologue est averti·e du caractère relatif de ses évaluations et interprétations et elle·il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Elle·il émet des conclusions contextualisées et non réductrices concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes. » Par ailleurs, la demandeuse conteste la compétence de la psychologue à établir un diagnostic relatif à la notion d’emprise. Or, ce concept n’appartenant pas à la sémiologie médicale, il n’est pas exclu que le psychologue en fasse usage. Un psychologue peut donc se prononcer quant à la nature des relations observées, conformément au Principe 4 : Principe 4 : Compétence « La·le psychologue tient sa compétence : - de connaissances théoriques et méthodologiques acquises dans les conditions définies par l’article44 de la loi du 25 juillet 1985 modifiée, relative à l’usage professionnel du titre de psychologue ; - de l’actualisation régulière de ses connaissances ; - de sa formation à discerner son implication personnelle dans l’approche et la compréhension d’autrui. Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Elle·il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité déontologique de refuser toute intervention lorsqu'elle·il sait ne pas avoir les compétences requises. Quels que soient le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, elle·il agit avec prudence, mesure, discernement et impartialité. » Dans le cas présent, la professionnelle ayant indiqué n’avoir reçu le père de l’adolescente que quelques minutes au cours du premier entretien, la conclusion que l’adolescente n’est « Page 6 sur 8 ni victime de manipulation, ni victime d’aliénation parentale de la part de son père » ne parait toutefois pas suffisamment fondée. L’article 20 rappelle la réflexion critique nécessaire dans les choix d’intervention du psychologue : Article 20 : « La pratique de la·du psychologue est indissociable d'une réflexion critique portant sur ses choix d’intervention. Elle ne se réduit pas aux méthodes ou techniques employées. Elle nécessite une mise en perspective théorique et éthique de celles-ci. » Lors du changement de la situation professionnelle de la psychologue au cours du travail avec l’adolescente, cette dernière a refusé une proposition de poursuite du travail en visioconférence. La psychologue a clôturé son intervention en proposant à la jeune fille la recommandation de plusieurs praticiens susceptibles de la recevoir. Cette démarche s’inscrit dans le respect de l’article 19 : Article 19 : « Dans le cas où la·le psychologue prévoit d'interrompre son activité ou y est contraint·e pour quelque motif que ce soit, elle·il s’efforce d’assurer la continuité de son action. Les documents afférents à son activité peuvent être transmis ou détruits, en respectant les procédures offrant toutes garanties de préservation de la confidentialité. » En revanche, il apparaît que la demandeuse n’a pas été tenue informée des recommandations de la psychologue. En effet, cette dernière a indiqué dans son attestation finale que l’adolescente lui a demandé « de ne pas communiquer la liste à […] sa mère ». Cette absence de communication avec la demandeuse contrevient aux recommandations des articles 9 et 11, précédemment cités. La psychologue aurait gagné à expliciter à sa jeune patiente les dispositions légales en vigueur concernant l’autorité parentale. 2. Les écrits du psychologue, dans un contexte de conflit parental Dans le cadre de son intervention, le psychologue peut être conduit à rédiger des écrits. Lorsque cette situation se présente, il s’efforce d’inscrire sa démarche dans le respect des préconisations du code de déontologie de la profession. Dans la situation présentée à la Commission, il apparaît que la psychologue a rédigé trois attestations relatives à son intervention. Le contenu de ces écrits évolue au cours du travail engagé avec sa patiente. Toutefois, le dispositif thérapeutique mis en oeuvre par la psychologue n’est pas explicité dans ses deux premiers écrits. C’est seulement au terme de sa prise en charge et dans son attestation finale que la psychologue présente le cadre de son intervention comme étant une psychothérapie. Page 7 sur 8 Selon la Commission, la lecture des écrits de la psychologue ne permet pas une compréhension des objectifs du travail réalisé auprès de la mineure. Ce manque de clarté introduit des confusions quant aux buts poursuivis par la professionnelle. Afin d’éviter cet écueil, la psychologue aurait pu s’appuyer sur le Principe 6, précédemment cité. En particulier, le fait que l’attestation finale de la psychologue soit adressée directement au JAF questionne au regard du courriel adressé à la demandeuse dans lequel la professionnelle affirme « laisser [chacun des parents] la communiquer, le cas échéant, à qui de droit » mais également qu’elle n’établira « pas d’autres documents, hormis en cas de demande(s) du Juge des enfants ou d’une instance supérieure ». Or le courriel d’accompagnement de l’attestation transmise à la demandeuse ne fournit aucune précision quant à l’existence d’une quelconque requête judiciaire. Cet élément laisse donc à penser que la psychologue est revenue sans explication sur un engagement qu’elle a pourtant formulé par écrit. Cette initiative ne manque pas d’interpeller la Commission quant au but poursuivi par la psychologue dans sa démarche. Celle-ci aurait pu s’appuyer sur le Principe 3 et l’article 15 afin de prendre en considération les enjeux d’un tel écrit : Principe 3 : Intégrité et probité « En toutes circonstances, la·le psychologue respecte les principes éthiques, les valeurs d’intégrité et de probité inhérents à l’exercice de sa profession. Elle·il a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles, religieuses, sectaires, politiques, ou en vue de tout autre intérêt idéologique. Elle·il prend en considération les utilisations qui pourraient être faites de ses interventions et de ses écrits par des tiers. » Article 15 : « La·le psychologue présente ses conclusions de façon claire et adaptée à la personne concernée. Celles-ci répondent avec prudence et discernement à la demande ou à la question posée. Lorsque ces conclusions sont transmises à un tiers, elles ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. L'assentiment de la personne concernée ou son information préalable est requis. » Enfin, bien que certains éléments formels relatifs aux écrits du psychologue soient conformes aux recommandations de l’article 18, il manque la mention du destinataire sur les deux premières attestations réalisées, ceci n’aidant pas mieux à saisir facilement le but recherché par la psychologue avec une telle initiative : Article 18 : « Les documents émanant d'un·e psychologue sont datés, portent son identité, son titre, son numéro d’inscription sur les registres légaux en vigueur, ses coordonnées professionnelles, sa signature ainsi que la·le destinataire et l'objet de son écrit. Seul la·le Page 8 sur 8 psychologue auteur·e de ces documents est habilité·e à les signer, les modifier, ou les annuler. Elle·il fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou électronique. » Pour la CNCDP Le Président Antony CHAUFTON La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur. Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité. |
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