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RÉSUMÉ DE LA DEMANDE

La demandeuse, actuellement en « procès » avec son ex-employeur devant le Conseil des Prud’hommes, pour licenciement abusif, sollicite la Commission au sujet d’un courrier rédigé par une psychologue. Cette dernière a suivi une ancienne collaboratrice dont la demandeuse a été la responsable hiérarchique. Cet écrit, dont la demandeuse a pris connaissance par le biais de son avocat, a été produit devant l’instance prud’homale pour « prouver le bien-fondé de (la) décision de (la) licencier ».

Selon elle, ce « courrier » nuirait « grandement à l’image de (sa) personne et à (sa) dignité ». La psychologue aurait établi, dans cet écrit, un lien de cause à effet entre le comportement professionnel de la demandeuse (l’identifiant nommément) et la décision de son ancienne collaboratrice d’engager un suivi thérapeutique. De même, sous couvert de ses qualités « d’enquêtrice sociale et de personnalité auprès du TGI », elle aurait évoqué des « approches instables et imprévisibles » de la part de la demandeuse envers cette ancienne collaboratrice. La demandeuse souligne aussi que la psychologue pose un diagnostic sur sa personne, alors même que cette professionnelle ne l’a jamais rencontrée.

Tout en précisant que cette psychologue a pris contact avec son ex-employeur une semaine avant l’audience de conciliation prud’homale, la demandeuse fait ainsi part à la Commission de ses différentes interrogations concernant le positionnement déontologique de celle-ci :

- Pouvait-elle la citer nommément dans son écrit et y intégrer une « analyse psychopathologique » la concernant alors qu’elle ne l’a jamais rencontrée ?

- Ne devait-elle pas prendre en compte l’environnement général et le contexte psychosocial de l’entreprise dans ses conclusions ?

- Devait-elle préciser davantage dans quel cadre elle a rédigé ce courrier : à la demande de sa patiente, de l’avocat de celle-ci, de son ancien employeur ?

- Se positionnait-elle comme experte ou comme thérapeute et était-elle mandatée voire payée par son ex-employeur pour transmettre ce document ?

Enfin, la demandeuse sollicite la Commission pour organiser une médiation entre elle et la psychologue.

Document joint :

- Copie du courrier rédigé par la psychologue avec en-tête mentionnant ses qualifications.

Posté le 30-03-2020 11:20:38

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2018

Demandeur :
Particulier (Tiers)

Contexte :
Relations/conflit avec la hiérarchie, l’employeur, les responsables administratifs

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Compte rendu

Questions déontologiques associées :

- Discernement
- Écrits psychologiques (Identification des écrits professionnels)
- Évaluation (Évaluation de personnes que le psychologue n’a pas rencontrées)
- Mission (Distinction des missions)
- Respect de la personne
- Respect du but assigné
- Secret professionnel (Obligation du respect du secret professionnel)
- Transmission de données psychologiques (Compte rendu à des partenaires professionnels avec accord et/ou information de l’intéressé)

AVIS

AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné.

Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière.

La Commission se propose de traiter les points suivants :

  • But assigné à l’intervention d’un psychologue dans le cadre d’une situation de souffrance au travail.
  • Transmission d’informations pouvant être produites dans une procédure prud'homale : prudence et respect des personnes.
  1. But assigné à l’intervention d’un psychologue dans le cadre d’une situation de souffrance au travail

Quel que soit son cadre d’exercice, le psychologue définit ses méthodes en cohérence avec le but assigné à son intervention, comme l’y invite le Principe 6 :

Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. »

Dans la situation présente, la psychologue semble être intervenue dans un cadre libéral afin d’engager une psychothérapie individuelle, vraisemblablement à la demande de l’ex-collaboratrice de la demandeuse, dans un contexte de souffrance en lien avec son travail. Après étude de la pièce jointe, la Commission n’a relevé aucun élément permettant de signifier qu’elle ait été mandatée par ladite entreprise ou une quelconque autorité judiciaire.

Un psychologue est par ailleurs compétent pour rendre un avis sur des situations qui lui ont été soumises, comme cela est indiqué dans l’article 13 du Code. Ses évaluations ne peuvent cependant pas porter sur les personnes qu’il n’a pas rencontrées, comme semble l’avoir fait la psychologue dans son courrier au sujet de la demandeuse.

Article 13 : « Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées. Son évaluation ne peut cependant porter que sur des personnes ou des situations qu’il a pu examiner lui-même. »

Dans le cas présent, la psychologue n’ayant observé ni le climat de l’entreprise, ni la nature des relations professionnelles entretenues entre la demandeuse et sa patiente, elle ne pouvait alors qu’accompagner le vécu subjectif de cette dernière et non établir un lien de cause à effet entre son état et ses relations antérieures avec la demandeuse. Tout au mieux pouvait-elle proposer des hypothèses issues de ses observations cliniques auprès de sa patiente. De plus, même si cette psychologue a probablement voulu répondre favorablement à cette demande d’écrit de la part de sa patiente ou peut être de son employeur directement, elle se devait de respecter les limites de son intervention, comme précisé dans le Principe 2 :

Principe 2 : Compétence

« Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compétences requises. Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. »

  1. Transmission d’informations pouvant être produites dans une procédure prud'homale : discernement et respect des personnes

Toute intervention engage la responsabilité professionnelle du psychologue selon le Principe 3 du code de déontologie :

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l’application des méthodes et techniques qu’il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer.

Un document rédigé par un psychologue s’accompagne du respect d’un certain nombre de règles formelles, rappelées dans l’article 20, permettant de préciser son cadre de diffusion, mais aussi son identification.

Article 20 : « Les documents émanant d’un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l’identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l’objet de son écrit et sa signature […]. »

Dans la situation présente, le « courrier » rédigé par la psychologue est adressé à une personne que la Commission n’a pu identifier par sa fonction, et que la demandeuse présente comme son ex-employeur. À la fin du document, dans lequel la psychologue ajoute une mention « écrit avec l’accord du patient », elle en précise le motif, à savoir, faire connaître « l’état de sa patiente ». La forme et le contenu de son document semble ici se rapprocher d’une note d’observation qui va au-delà d’une simple attestation de suivi. Or, à la lecture du document, la Commission a regretté que la psychologue ne précise pas plus clairement son objet et l’éventuel commanditaire. Il est aussi noté l’absence de son numéro ADELI.

Un psychologue doit s’assurer également que les éléments consignés et potentiellement transmis à des tiers respectent le secret professionnel à l’égard des personnes qu’il reçoit au sens de l’article 7, mais aussi que son action ne soit pas préjudiciable à autrui selon le Principe 1 du Code :

Article 7 : « Les obligations concernant le respect du secret professionnel s’imposent quel que soit le cadre d’exercice. »

Principe 1 : Respect des droits de la personne

« Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s’attache à respecter l’autonomie d’autrui et en particulier ses possibilités d’information, sa liberté de jugement et de décision. […] Il préserve la vie privée et l’intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. Il respecte le principe fondamental que nul n’est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même. »

Dans la situation présente, la psychologue apporte des précisions, dès le début de son document, sur le contexte de la prise en charge de sa patiente : « suite au licenciement de sa responsable Mme […], du contexte professionnel associé et de la relation entretenue avec elle pendant 10 ans ». Or, en mentionnant explicitement le nom de l’ancienne responsable de sa patiente, qui plus est dans le contexte judiciaire en cours, la psychologue ne pouvait ignorer les répercussions possibles vis-à-vis de la demandeuse.

Comme le souligne l’article 25, le psychologue doit être conscient du caractère relatif de ses écrits et de ses évaluations, que celles-ci soient transmises oralement ou par écrit :

Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes. »

La Commission a pu s’interroger sur les motifs ayant amené la psychologue à transmettre ces informations directement à l’employeur, quelques jours avant l’audience de conciliation prud'homale. Il eut été plus opportun qu’elle remette une attestation de prise en charge, en main propre à sa patiente, si celle-ci en faisait la demande.

Enfin, la Commission rappelle qu’elle a vocation à rendre des avis consultatifs sur la base des éléments transmis par un demandeur. Ainsi, la mise en place d’une médiation entre un demandeur et un psychologue ne relève pas de ses missions.

Pour la CNCDP

La Présidente
Mélanie Gauché

La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur.

Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité.

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