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RÉSUMÉ DE LA DEMANDE

La Commission est saisie par un père en conflit avec son ex-épouse. Ils sont parents de deux filles âgées respectivement de 10 et 6 ans. Depuis trois ans ils s’affrontent, essentiellement au sujet de l’établissement de la résidence de celles-ci, via de nombreuses procédures judiciaires devant le Juge aux Affaires Familiales (JAF) et le Juge des Enfants (JE).

Selon le demandeur, c’est suite à une décision de justice, établissant de nouvelles modalités d’alternance entre eux, que la fille aînée du couple aurait fugué de chez lui, ce qui aurait déclencher la saisine par la mère du JE. Celui-ci a ordonné auprès de la famille la tenue d’une expertise psychologique, la mise en place d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative (IOE) puis une aide éducative en milieu ouvert (AEMO). Après compilation des différentes procédures et investigations, la Cour d’Appel (CA) a décidé de fixer la résidence des enfants au domicile du père.

S’en est suivi un nouveau signalement, cette fois-ci par le directeur du collège dans lequel est scolarisée l’aînée, pour des faits de violence et d’autres « d’ordre sexuel » qu’elle attribue à son père. Considérées « en danger » au milieu de ces relations parentales extrêmement conflictuelles, le Parquet des mineurs a alors décidé le placement provisoire des deux sœurs à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), assorti d’une enquête pénale.

Dans l’intervalle des dernières procédures, c’est à l’initiative de la mère, selon le demandeur, que la fille aînée est reçue « en soutien psychothérapeutique » pendant environ une année, par une psychologue installée en libéral, à raison d’une séance tous les quinze jours. Il indique que cette psychologue a cependant « refusé » de donner suite à ses demandes réitérées de rendez-vous, aussi bien « par lettre recommandée » que par courriel.

Suite au dernier signalement, la psychologue a rédigé un courrier que le demandeur estime à charge contre lui et que son ex-femme a produit auprès du JE et « des services de Police ». Il formule aujourd’hui diverses interrogations par rapport à ce qu’il nomme « les manquements déontologiques de la psychologue » :

  • Avait-elle le droit de ne recevoir qu’un seul parent et de ne pas donner suite aux sollicitations de rendez-vous du second parent ?
  • Cette attestation pouvait-elle être rédigée et adressée directement au Juge par l’entremise d’un seul parent ? À quel titre et selon quelle compétence l’a-t-elle fait ?
  • Avait-elle le droit d’établir l’existence d’un comportement répréhensible sans avoir jamais rencontré son auteur désigné ; devant de telles accusations, devait-elle effectuer un signalement ?

Documents joints :

  • Copie de la décision de la CA fixant la résidence habituelle des enfants au domicile du père.
  • Copie du courrier adressé par la psychologue au JE postérieur à la décision de la CA.
  • Copie d’un courrier adressé par le demandeur à la psychologue suite au placement de ses filles.
Posté le 30-03-2020 11:07:44

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2018

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Attestation

Questions déontologiques associées :

- Discernement
- Responsabilité professionnelle
- Respect du but assigné
- Respect de la personne
- Autorisation des détenteurs de l’autorité parentale

AVIS 

AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné.

Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière.

 

La Commission se propose de traiter des points suivants :

  • Cadre d’intervention et traitement équitable des parties dans un contexte de séparation parentale
  • Préalables déontologiques à la rédaction d’un écrit
  • Responsabilité du psychologue et procédures judiciaires: discernement et impartialité
  1. Cadre d’intervention et traitement équitable des parties dans un contexte de séparation parentale

Le psychologue a toute liberté pour concevoir, en fonction de ses compétences, le cadre de son intervention. Le dispositif instituant une relation entre lui et la personne accueillie se fonde sur plusieurs Principes et articles du Code. Assumer sa responsabilité professionnelle implique, qu’il a le choix des méthodes et outils qu’il va utiliser dans son espace d’intervention, ceci en conformité avec le Principe 3 du Code :

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer ».

Dans la situation présente, le demandeur invoque des « manquements déontologiques » de la part de la psychologue qui a reçu sa fille. Il estime qu’elle a manqué à ses devoirs en lui refusant toute entrevue. La Commission commencera par rappeler l’article 11 :

Article 11 : « L’évaluation, l’observation, ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposées par le psychologue requièrent outre le consentement éclairé de la personne, ou au moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l’autorité parentale ou des représentants légaux. »

Cet article précise la nécessité pour le psychologue de recueillir le consentement de(s) enfant(s), mais également celui des détenteurs de l’autorité parentale. Cette recommandation, inscrite dès le premier Principe du code de déontologie, se double dans son article 9 de la nécessité d’informer les personnes qui consultent un psychologue des objectifs, modalités et limites de l’intervention :

Principe 1 : Respect des droits de la personne

« Le psychologue […] n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées… Il respecte le principe fondamental que nul n’est tenu à révéler quoi que ce soit sur lui-même »

Article 9 : « Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions. »

Dans la situation présente, le père n’a semble-t-il, ni été tenu informé de la démarche de la mère, ni même été contacté par la psychologue. Il aurait été souhaitable qu’elle le reçoive dès le début de la consultation pour comprendre son positionnement. Elle indique dans son écrit recevoir l’aînée des deux filles « en soutien psychothérapeutique » depuis plus d’une année. Outre l’imprécision de la formule, la Commission considère qu’il s’agit là d’un travail « au long cours » qui va bien au-delà d’une simple consultation, ce qui circonscrit le but auquel s’est dès lors assignée la psychologue.

La Commission s’est également interrogée sur la manière dont la psychologue a pris en compte le contexte de sa jeune patiente soumise à de nombreuses investigations et expertises avant de conduire son intervention et rédiger son attestation. Les Principes 6 et 4 du Code auraient pu accompagner sa réflexion :

            Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers ».

            Principe 4 : Rigueur

« Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail ».

Enfin, le demandeur indique avoir été écarté de toute rencontre avec la psychologue, sans qu’aucune communication ne soit semble-t-il possible, malgré ses différents courriers et prises de contact. La Commission a pu se demander dans quelle mesure les non réponses de cette psychologue avait pour but de préserver l’espace thérapeutique de la jeune fille, plutôt que de montrer un parti pris en faveur de la mère.

  1. Préalables déontologiques à la rédaction d’un écrit

Le psychologue qui est sollicité pour rédiger un document par un patient ou un parent de patient mineur manifeste sa compétence et son respect du Code de déontologie en faisant preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité tout en respectant le secret professionnel comme l’indiquent le Principe 2 et l’article 7 :

Principe 2 : Compétence

«[..]Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu'il sait ne pas avoir les compétences requises. Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. »

Article 7 : « Les obligations concernant le respect du secret professionnel s’imposent quel que soit le cadre d’exercice. »

A l’examen des pièces jointes, il est peu probable que la psychologue ayant reçu la mère et la fille aînée n’ait pas été informée des procédures multiples qui se déployaient entre les parents. Le contexte particulièrement conflictuel aurait dû l’inciter à plus de distance quand elle atteste de la bienveillance de la mère à l’égard de son ex-conjoint. En de telles circonstances, l’analyse de la demande qui lui a été adressée devait s’inscrire dans le respect des droits fondamentaux des personnes avec toute la rigueur et la probité qui s’imposent. Le Principe 1 du Code est à cet égard explicite :

Principe 1 : Respect des droits de la personne

« Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection. Il s'attache à respecter l'autonomie d'autrui et en particulier ses possibilités d'information, sa liberté de jugement et de décision. Il favorise l'accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix. Il n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. Il préserve la vie privée et l'intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. Il respecte le principe fondamental que nul n'est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même. »

C’est la raison pour laquelle, avant même de concevoir un écrit et d’en rédiger le contenu, il est régulièrement conseillé au psychologue, comme le pose le Principe 6 cité plus haut, de bien circonscrire le but assigné à son intervention écrite. En prenant soin de préciser son destinataire et de nommer le type d’écrit dans l’entête (un certificat, un compte rendu, une évaluation ou toute autre production requise) le psychologue prend en considération l’exploitation possible par des tiers, qui plus est dans un contexte de procédure judiciaire en cours.

  1. Responsabilité du psychologue et procédures judiciaires: discernement et impartialité

L’examen du document soumis à la Commission respecte l’essentiel des règles formelles de présentation prévues en la matière par l’article 20 du Code, sans toutefois préciser sa nature ou son objet, car il est rédigé sous la forme d’un courrier.

Article 20 : « Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. […]»

Son contenu, par contre, s’apparente fortement à un « signalement direct » pour maltraitance. Il est  adressé nominalement à une juge du « Tribunal pour enfants » et non à la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) comme il est d’usage. La nécessité de produire cet écrit sous la forme d’un signalement  au titre de la protection des mineurs, aurait effectivement pu s’imposer à la psychologue au vu des éléments de discours recueillis dans le cadre des rendez-vous, comme le prévoit l’article 19, si toutefois un placement n’avait pas encore été prononcé par le JE.

Article 19 : « Le psychologue ne peut se prévaloir de sa fonction pour cautionner un acte illégal et son titre ne le dispense pas des obligations de la loi commune.) Dans le cas de situations susceptibles de porter atteinte à l'intégrité psychique ou physique de la personne qui le consulte ou à celle d'un tiers, le psychologue évalue avec discernement la conduite à tenir en tenant compte des dispositions légales en matière de secret professionnel et d'assistance à personne en péril. ».

Le demandeur ne peut donc, à ce titre, contester l’envoi d’un tel courrier qui engage par ailleurs la responsabilité voire le discernement de la psychologue. Son contenu rapporte des propos tenus par l’aînée des deux mineures et décrit ses propres observations et constats tout au long de son intervention. La Commission a, néanmoins, regretté que les paroles de l’enfant n’aient pas été citées entre guillemets.

Tout en considérant l’article 13 du Code, qui aurait pu amener cette psychologue à reconsidérer le contenu et l’urgence de son « signalement », elle aurait dû prendre appui sur le Principe 3.

Article 13 : « Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées. Son évaluation ne peut cependant porter que sur des personnes ou des situations qu'il a pu lui-même examiner. »

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. […] Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. »

Enfin, le demandeur est fondé à rapprocher les observations consignées, voire à en solliciter une contre-expertise comme l’article 14 l’évoque :

Article 14 : « Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue informe les personnes concernées de leur droit à demander une contre évaluation. »

Pour la CNCDP

La Présidente

Mélanie GAUCHÉ

La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur.

Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité.

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Avis_18-26.pdf

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