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p>La grand-mère paternelle d’un enfant qui avait 3 ans et demi au moment des faits rapportés sollicite l’avis de la CNCDP (sur le conseil du Syndicat National des Psychologues) à propos d’un signalement  pour viol sur mineur à l’encontre du père de l’enfant.
Le couple parental, en instance de divorce, était séparé depuis un an et le droit de visite du père s’exerçait sans incident au domicile des grands-parents paternels. Quelques jours avant le prononcé du divorce, la mère dépose une plainte pour viol sur mineur et le jour où le divorce est prononcé, elle consulte une psychologue « en urgence suite à des comportements étranges observés à chaque retour de visite du père». Cette dernière reçoit l’enfant deux fois, décide d’entreprendre «un travail de réparation avec l’enfant et un travail de guidance avec la mère», puis en réfère dès le lendemain à un centre hospitalier. Sur la base de son compte rendu, un signalement est fait au procureur du tribunal de grande instance.
L’instruction judiciaire pour abus sexuel a entraîné une séparation du père et du fils pendant 16 mois et s’est terminée par un non-lieu. Le père a souhaité  rencontrer la psychologue à plusieurs reprises : au début de la procédure, puis quand il a obtenu à nouveau le droit de visite après décision du Juge aux Affaires Familiales, enfin quand le non-lieu a été prononcé. Celle-ci a toujours refusé de le recevoir, l’informant seulement par téléphone, après le non-lieu, de la fin du traitement du garçon. Malgré plusieurs demandes du père, elle a refusé également de «donner le bilan».
La demandeuse, qui souligne que «l’autorité parentale a toujours été conjointe et exercée, malgré l’entêtement de la mère à le nier », interroge la commission sur ces refus de la psychologue : « Est-ce normal ou légal d’agir ainsi ? », et revient à la fin de sa lettre sur le signalement initial : «Peut-on agir si vite, sans connaître le contexte, en se fiant à une seule parole, dans une situation aussi grave, délicate, où la prudence et le doute auraient dû prévaloir, avant d’imposer tant de tourments à un enfant et à son père ?».

Documents joints :

- copie du compte rendu  de la psychologue relatant une conversation téléphonique avec la mère et deux entretiens avec l’enfant. Ce compte rendu se présente sous la forme d’une lettre, annotée « Urgent » ;
- copie du du signalement par télécopie urgente envoyée au tribunal de grande instance par un centre hospitalier ;
- deux articles émanant d’une association de défense de la condition paternelle et analysant le mécanisme des accusations fausses d’abus sexuels.
La commission relève que les deux premiers documents, dont tous les identifiants ont été occultés, sont abondamment annotés par la demandeuse.

Posté le 07-01-2011 17:26:00

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2005

Demandeur :
Particulier (Tiers)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Intervention d’un psychologue
Précisions :
Signalement

Questions déontologiques associées :

- Signalement
- Discernement
- Compétence professionnelle (Formation (formation initiale, continue, spécialisation))
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Traitement équitable des parties
- Transmission de données psychologiques (Compte rendu aux parents)
- Confraternité entre psychologues
- Respect du but assigné

La commission rappelle qu’elle n’a pas qualité pour examiner la matérialité des faits qui lui sont communiqués. Elle ne se prononce que sur la conformité des pratiques professionnelles des psychologues à la déontologie de leur profession. Elle traitera les points suivants :
- La démarche de signalement et ses exigences de discernement et de prudence. 
- La communication d’informations concernant un mineur aux détenteurs de l’autorité parentale.

1) La démarche de signalement et ses exigences de discernement et de prudence

1.1 La prudence et le discernement dans la démarche de signalement
L’article 13 du Code de déontologie fait obligation à tout psychologue
« (...) de signaler aux autorités judiciaires chargées de l’application de la Loi toute situation qu’il sait mettre en danger l’intégrité des personnes ».
Cette démarche nécessite une évaluation «en conscience» pour le psychologue. L’article 13 se termine d’ailleurs avec cette recommandation :
«Le psychologue peut éclairer sa décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés ».
Le signalement ayant été fait très rapidement, il est probable que la psychologue n’a pas pu tirer profit de cette recommandation.
Dans la situation considérée, le texte du signalement, qui émane d’un centre hospitalier, fait état de deux consultations communes de la psychologue avec le signataire de l’écrit, probablement un médecin, puisqu’il est question d’un examen somatique (mais tous les noms ayant été occultés par la demandeuse, on ne peut que le supposer). L’auteur du signalement précise que lors de la première consultation, il n’a pas été possible de confirmer les dires de la mère et de faire répéter ses propos à l’enfant. A la seconde consultation, il conclut que l’examen somatique ne détecte rien d’anormal, mais que « cette négativité ne doit toutefois pas mettre en doute les paroles de l’enfant ». L’évaluation de la psychologue a donc été déterminante dans le déclenchement du signalement, mais elle n’en a pas pris seule la responsabilité.

1.2 La prudence et le discernement dans l’évaluation des propos de l’enfant
Le moment de la première consultation sollicitée par la mère de l’enfant (le jour où le divorce est prononcé) et le contexte conjugal très conflictuel auraient dû inciter la psychologue à une grande prudence, et à élaborer d’autres hypothèses que celles proposées par la mère. Par ailleurs la difficulté à interpréter les propos des très jeunes enfants aurait dû l’inciter aussi à approfondir ses investigations. Le Code rappelle d’ailleurs les précautions à prendre par les psychologues dans leur exercice professionnel.
Titre I-2 : « Le psychologue tient ses compétences de connaissances théoriques régulièrement mises à jour, d’une formation continue et d’une formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui. Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières et définit ses limites propres, compte tenu de sa formation et de son expérience. Il refuse toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compétences requises »
Titre I-5 : « Les modes d’intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l’objet d’une explicitation raisonnée de leurs fondements théoriques et de leur construction. Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir faire l’objet d’un débat contradictoire des professionnels entre eux » 

L’évaluation des situations de suspicion d’abus sexuel sur de très jeunes enfants étant particulièrement délicate, la Commission ne peut que recommander de suivre le conseil exprimé à la fin de l’article 13
«  Le psychologue peut éclairer sa décision en prenant conseil auprès de collègues expérimentés ».

1.3 La prudence et le discernement dans les conclusions
A la suite de son évaluation, la psychologue déclare entreprendre immédiatement «un travail de réparation avec l’enfant et un travail de guidance avec la mère». La formulation même du travail entrepris induit une certaine suspicion à l’encontre du père, de même que la décision de faire coïncider la fin du traitement de l’enfant avec le non lieu. En orientant ainsi son travail, la psychologue prend parti.
Article 19 : «  le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives sur les aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclusions peuvent avoir une influence directe sur son existence »

1.4 La psychologue devait-elle prendre plus d’informations, et en particulier, comme le pense la demandeuse, informer le père de l’enfant et demander à le rencontrer avant de faire un signalement, ou accepter de le rencontrer quand il en a fait la demande ?
La psychologue n’était pas dans une mission d’expertise ordonnée par un juge, ce qui aurait impliqué d’examiner tous les membres de la famille, mais dans une démarche de consultation privée demandée par la mère de l’enfant. La psychologue est donc restée dans sa mission de consultante centrée sur l’enfant. Toutefois, le contexte familial aurait pu la rendre plus prudente vis-à-vis des accusations de la mère de l’enfant, et l’inciter à entendre la version des faits du père. Le Titre I-6 souligne cette exigence de précaution :
«  Tout en construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue doit donc prendre en considération les utilisations possibles qui peuvent en être faites par des tiers ».

Lorsque le père a lui-même souhaité la rencontrer à plusieurs reprises, pouvait-elle refuser ? 
L’article 9  précise « (…) dans les situations d'expertise judiciaire, le psychologue traite de façon équitable avec chacune des parties et sait que sa mission a pour but d'éclairer la justice sur la question qui lui est posée et non d'apporter des preuves ».
La Commission a souvent estimé que cette exigence de traitement équitable était à recommander, même en dehors d’un mandat d’expertise, aux psychologues recevant des enfants pris dans un conflit familial aigu.

2) La communication d’informations concernant un mineur aux détenteurs de l’autorité parentale
La psychologue ayant informé le père qu’elle arrêtait la prise en charge thérapeutique de son enfant pouvait-elle refuser de lui communiquer un bilan ?
L’article 12 qui traite des conclusions du psychologue, précise :
« (…) Les intéressés ont le droit d’obtenir un compte rendu compréhensible des évaluations les concernant, quels qu’en soient les destinataires »
Le père de l’enfant, avait toute légitimité de vouloir obtenir un compte rendu ou au moins  un échange avec la psychologue qui avait suivi son fils pendant presque deux ans et lui signifiait personnellement qu’elle arrêtait le traitement.

Conclusion
La CNCDP rappelle les exigences de prudence professionnelle soulignées par le Code à de nombreuses reprises : discernement, qualité scientifique des investigations, prudence des conclusions, souci permanent de l’information des personnes concernées et recours à l’avis de collègues expérimentés pour prendre davantage de recul. Ces exigences sont d’autant plus importantes à respecter qu’elles concernent des situations de signalement potentiel.

 

Avis rendu le 20/03/07
Pour la CNCDP
La Présidente
Anne Andronikof


Articles du code cités dans l'avis : Titre I-2, I-5, I-6. Articles 9, 12, 13, 19.

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Avis 05-24.doc

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