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Le demandeur a fait l’objet d’une plainte pour « viol et menaces de mort » de la part d’une jeune femme rencontrée une fois par l’intermédiaire d’un site internet de rencontre en ligne. L’instruction judiciaire menée pendant près de trois ans s’est conclue par un non-lieu. 

Durant cette instruction, un expert psychologue a été requis pour « procéder à l’examen » de la plaignante quelques jours après le dépôt de sa plainte. Puis, trois mois plus tard, le même psychologue a été commis par le juge pour procéder à l’expertise psychologique du demandeur mis en cause.

Ce sont ces deux expertises qui sont ici soumises à la Commission, le demandeur estimant que « l’expert psychologue s’est transformé en témoin à charge au mépris du code de déontologie applicable à sa profession ». 

Pour étayer cette affirmation, le demandeur développe un argumentaire très fourni, appuyé, selon ses propos, sur une méthodologie scientifique, dont ressortent essentiellement les éléments suivants :

  • le psychologue se prononce positivement sur « la crédibilité » de la plaignante pour laquelle il diagnostique un « état de stress post-traumatique évocateur d’abus sexuels »,
  • acceptant d’être expert des deux protagonistes aux affirmations contradictoires, il s’est impliqué en faveur de la « victime ». Ceci est confirmé par les conclusions empreintes de partialité relatives au profil psychologique dressé du demandeur mis en cause.

Selon le demandeur, ces éléments tendent, sans précaution, à valider l’accusation « en totale opposition avec la réalité ».

  

 Pièces jointes :

  • Copie de l’ordonnance de non-lieu,
  • Copie de l’expertise psychologique de la plaignante (procès-verbal de réquisition du psychologue, rapport de l’examen, Procès-verbal du résultat de l’expertise par l’Officier de Police Judiciaire),
  • Copie de l’expertise du demandeur mis en cause (ordonnance de commission d’expertise, rapport d’expertise),
  • Copie  des mémoires en défense rédigés par le demandeur (synthèse générale, chapitre relatif à l’analyse de l’expertise de la plaignante du mémoire « analyse des déclarations », chapitre « préjudice moral » du mémoire des préjudices).
Posté le 27-09-2017 18:12:23

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2016

Demandeur :
Particulier (Usager / Client)

Contexte :
Question sur l’exercice d’un psychologue

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Impartialité
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Compétence professionnelle (Reconnaissance des limites de sa compétence, orientation vers d’autres professionnels)
- Discernement
- Mission (Compatibilité des missions)
- Responsabilité professionnelle

A la lecture de la demande et des pièces jointes, la Commission traitera des points suivants :

  • Nécessité de prudence, discernement et rigueur dans le cadre d’une expertise,
  • Respect du but assigné et limites.

 

  1. Nécessité de prudence, discernement et rigueur dans le cadre d’une expertise 

Si le psychologue commis par un juge devient  auxiliaire de justice, il n'est cependant pas exonéré des devoirs de sa déontologie professionnelle. 

Dans une telle situation, où les enjeux sont importants pour les protagonistes soumis à l’expertise, la prudence est particulièrement requise :

  Principe 2 : Compétence

….  « Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, (le psychologue)  fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. » 

De même, un devoir de rigueur s’impose pour le psychologue, ainsi que la conscience des limites liées à sa méthodologie :

  Principe 4 : Rigueur

« Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. »

La vigilance quant à ces devoirs doit être accrue en matière pénale surtout dans les affaires de mise en cause de comportements sexuels pour lesquelles aucun autre élément de preuves ne peut confirmer l’un des dires des parties qui s’opposent. Le psychologue  se doit de  rester impartial et ne pas s’impliquer subjectivement pour une partie ou l’autre.

 Principe 2 : Compétence

« Le psychologue tient sa compétence :[…]

  - de sa formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension      d’autrui. »

 

Cependant, certaines situations présentent un risque accru au regard de ce devoir de non implication : avoir à expertiser les deux parties qui opposent résolument des versions différentes voire contradictoires des faits incriminés.

Dans la situation évoquée ici, le psychologue a été  requis  pour expertiser dans un premier temps la plaignante quelques jours après son dépôt de plainte. Au regard des dispositions pénales, il lui était difficile de se récuser sauf raisons légitimes.

Dans un second temps, soit trois mois après, il est  commis  pour expertiser le mis en cause. Il avait la possibilité de refuser d’un point de vue légal et par déontologie :

Article 5 : « Le psychologue accepte les missions qu'il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences. »

En effet, outre le risque d’un possible manque de discernement quant à son implication dans une telle situation, le psychologue  ne pouvait ignorer les effets du déroulement judiciaire de l’instruction en cours quant aux conditions de la seconde expertise. Celle-ci intervient trois mois après alors que le mis en cause a eu la possibilité de prendre connaissance des conclusions de l’expertise de la plaignante qui tranche pour sa crédibilité quant aux faits dont il est accusé. Cet élément peut induire une certaine réticence voire une opposition marquant le cadre de la rencontre avec cet expert, risquant d’hypothéquer les conditions de sa fonction.

 Dans ce contexte, les éléments psychologiques recueillis auraient dû être analysés avec plus de prudence et de rigueur. Ce contexte particulier doit être pris en compte dans l’évaluation en toute rigueur :

Article 2 : « La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus considérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte. »

Dans cette situation d’évaluation des deux protagonistes, le comportement, la réticence, la réserve pourraient être en lien avec les a priori du mis en cause à l’égard du psychologue et non obligatoirement révélateurs de sa structure psychique.

A la lecture attentive, notamment de la seconde expertise en fonction de ce qui vient d’être développé, la Commission ne peut que souligner les défaillances de l’expert psychologue à l’égard des recommandations de prudence, discernement et rigueur.

 

  1. Respect du but assigné et limites

A partir du moment où l’expert commis accepte la mission, il se doit de répondre aux questions du juge.

Toutefois, cette obligation, comme indiqué dans ce qui vient d’être énoncé précédemment, rencontre les limites des compétences, des capacités méthodologiques que permettent les ressources validées de la  discipline. 

Article 24 : « Les techniques utilisées par le psychologue à des fins d’évaluation, de diagnostic, d’orientation ou de sélection, doivent avoir été scientifiquement validées et sont actualisées. »

En ce sens, le psychologue ne peut accepter de répondre qu’aux questions  « compatibles…avec ses compétences » comme rappelé par l’article 5. Il doit maintenir son autonomie et assumer sa responsabilité professionnelle quant aux avis et conclusions qu’il formule quelles que soient les questions posées :

 Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. […] »

Or, parmi les questions posées par le juge dans cette situation, certaines risquent de mener le psychologue au-delà de ce que la discipline permet raisonnablement de déterminer. Une extrême prudence est alors requise.

La première question du juge concerne la crédibilité des dires de la plaignante. Le psychologue rend compte de la réalité psychique et non de la réalité « objective », de son degré de « vérité ». Il a vocation à éclairer le juge et non à valider ou garantir des dires ou allégations. En la matière, il ne peut que soumettre des hypothèses selon les éléments psychologiques recueillis.

Considérant les textes soumis à la Commission par le demandeur, il s’avère que les conclusions de l’expertise de la plaignante sont trop affirmatives.  

La seconde question du juge qui réclame prudence et vigilance concerne un lien éventuel entre l’état psychique constaté par le psychologue et les abus sexuels allégués dont ils pourraient être la cause. Là encore, l’article 25  recommande que la prudence soit avant tout de mise : 

  Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations [...]»

Un expert doit faire preuve de nuances et doit pouvoir expliciter ses fondements théoriques et cliniques, d’autant plus que ces conclusions sont transmises à des tiers : 

 Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers. »

Article 17 :  « Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire….»

En conclusion, à l’examen de la situation et des deux expertises, la Commission ne peut que constater un certain nombre de manquements aux principes de rigueur, de prudence, de mesure et d’impartialité.  

 

 

 

Pour la  CNCDP

La Présidente

Catherine MARTIN

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