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Un père sollicite l'avis de la CNCDP à propos d'un "compte rendu de bilan psychologique" établi par un psychologue à la demande de la mère dans le but de faire changer le lieu de résidence de l'enfant, actuellement attribué au père.
Le père décrit un contexte "de divorce particulièrement conflictuel" avec multiplication des procédures initiées par la mère (la procédure évoquée étant la 12ème), et multiplication des expertises, mesures d'investigation et d'orientation éducative et enquêtes sociales.
Le père estime que les conclusions du bilan sont "particulièrement réductrices voire insultantes à [son] égard", d'autant que le psychologue "ne [l]'a jamais rencontré et n'a rencontré aucune personne de [son] entourage", avec "les conséquences que cela peut avoir sur la vie de cette petite fille et sur la [sienne]".
Il demande à la Commission "d'apprécier la conformité de ce rapport avec les règles d'exercice de votre profession", et formule des questions très précises, notamment :

  1. un psychologue est-il "qualifié pour attribuer les maladies d'une petite fille (…) à un traumatisme psychoaffectif que ni les éducateurs spécialisés, ni les professionnels du CMPP, ni les enseignants n'ont constaté" ?
  2. un psychologue "commet-il une faute en affirmant", un certain nombre de choses qui ont trait tant au fonctionnement psychologique du père qu'au mode de vie de l'enfant chez le père "à la seule lumière du récit de la maman" et sans l'avoir rencontré ?
  3. un psychologue "contrevient-il au code de déontologie des psychologues en tirant (…) des conclusions qui me semblent réductrices et empreintes de parti pris" et "en émettant un avis sur le mode de résidence" de leur enfant sans qu'il n'ait eu mandat d'une quelconque expertise".

Documents joints :

  1. Copie du "compte rendu de bilan psychologique",
  2. Copie de la plainte et du non lieu relatif à l'accusation de violences conjugales (4 ans auparavant),
  3. Copie de l'enquête sociale au moment du divorce (3 ans auparavant),
  4. Copie du jugement en assistance éducative (3 ans auparavant),
  5. Copie des expertises psychiatriques du père et de la mère de l'enfant  (3 ans auparavant).
Posté le 15-11-2011 15:26:00

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2009

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Compte rendu

Questions déontologiques associées :

- Compétence professionnelle (Qualité scientifique des actes psychologiques)
- Responsabilité professionnelle
- Information sur la démarche professionnelle
- Consentement éclairé
- Évaluation (Évaluation de personnes que le psychologue n’a pas rencontrées)
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Mission (Distinction des missions)
- Traitement équitable des parties
- Respect du but assigné

Au regard des questions posées, la Commission se propose de traiter des points suivants :

  1. La qualification du psychologue
  2. La prise en compte du contexte
  3. La différence entre avis sur une situation et évaluation des personnes
  4. La distinction des missions

La qualification du psychologue

Comme il est écrit à l'article 5 du Code de Déontologie des Psychologues, la qualification d'un psychologue "s'apprécie notamment par sa formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie, par des formations spécifiques, par son expérience pratique et ses travaux de recherche." C'est en fonction de sa qualification que le psychologue "détermine l'indication et procède à la réalisation d'actes qui relèvent de sa compétence."

Œuvrant dans le cadre des ses compétences, le psychologue peut tirer de ses observations les conclusions qui lui semblent pertinentes, à condition qu'il puisse les argumenter, et en discuter éventuellement avec ses pairs. C'est un principe fondamental exposé au Titre I-5 :

Titre I-5. Qualité scientifique. Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée de leurs fondements théoriques et de leur construction. Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir faire l'objet d'un débat contradictoire des professionnels entre eux.

En tout état de cause, le Code rappelle aux psychologues qu'ils sont responsables des avis qu'ils émettent et qu'ils doivent tenir compte de leur impact prévisible :

Titre I-3. Responsabilité. Outre les responsabilités définies par la loi commune, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Il s'attache à ce que ses interventions se conforment aux règles du présent Code. Dans le cadre de ses compétences professionnelles, le psychologue décide du choix et de l'application des méthodes et techniques psychologiques qu'il conçoit et met en œuvre. Il répond donc personnellement de ses choix et des conséquences directes de ses actions et avis professionnels.

La prise en compte du contexte

Un bilan, une évaluation, ne se font jamais "hors contexte". En effet, la personne qui vient consulter le fait pour un motif et dans un but que le psychologue va apprécier avant de procéder à l'examen psychologique.
Dans certaines circonstances, cette première analyse du contexte amènera le psychologue à surseoir à son examen psychologique ou à orienter la personne vers un autre professionnel.
Dans tout les cas de figure, l'évaluation initiale du contexte de la consultation va permettre au psychologue de définir ses objectifs relativement à la situation donnée, de se déterminer quant à la mission qu'il doit ou peut accomplir et d'en présenter les objectifs, les moyens et la portée (étendue et limite) à la personne qui consulte.
Celle-ci, alors bien informée sur le sens de sa propre démarche, sur la nature de l'examen envisagé et ses procédures, sera libre de consentir ou non à l'examen, de poursuivre ou non le travail que lui propose le psychologue.

Il s'agit là d'un principe fondamental de l'exercice professionnel tel qu'il est affirmé au titre I-1 du code, et explicité à l'article 9 :

Titre I-1. Respect des droits de la personne. (…) [Le psychologue] n'intervient qu'avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. (…)

Article 9 - Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement de ceux qui le consultent ou participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il les informe des modalités, des objectifs et des limites de son intervention (…).

La différence entre avis sur une situation et évaluation des personnes

Le psychologue qui se prononce sur la psychologie d'une personne (un trait de personnalité, une caractéristique de fonctionnement, une aptitude ou inaptitude etc.) fait de facto un acte d'évaluation de cette personne. Or, comme l'établit l'article 9, on ne peut évaluer une personne que si on l'a rencontrée dans un cadre professionnel et, comme nous venons de le voir, après consentement de ladite personne.

Article 9 - (…) Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées, mais son évaluation ne peut porter que sur des personnes ou des situations qu'il a pu examiner lui-même. (…)

En revanche, comme on le voit dans cet article, le psychologue a toute latitude pour donner un avis sur un dossier ou une situation, mais seulement si cet avis n'engage pas directement une appréciation sur des personnes.

C'est en rédigeant son compte rendu que le psychologue va indiquer clairement quels sont les éléments qu'il a pu constater lui-même, et lesquels lui ont été rapportés, ce qui permet au lecteur du rapport de situer la nature et la portée des différents aspects du compte rendu.

La distinction des missions

Outre l'analyse du contexte de la consultation, il est essentiel que le psychologue connaisse les contours de la mission qui lui a été confiée ou qu'il s'est donné, et qu'il se maintienne à tout moment dans le cadre strict de cette mission :

Article 4 - Le psychologue (…) peut remplir différentes missions, qu'il distingue et fait distinguer, comme le conseil, l'enseignement de la psychologie, l'évaluation, l'expertise, la formation, la psychothérapie, la recherche, etc. (...)

Dans le contexte de cet avis, la commission portera tout particulièrement sa réflexion sur la phrase subordonnée : "qu'il distingue et fait distinguer".

Elle implique en effet qu'une mission doit être clairement définie tant dans l'esprit du psychologue lui-même que dans celui du commanditaire et/ou du client, et c'est précisément la définition de la mission qui fera l'objet d'un consentement réciproque et qui servira de cadre à l'intervention du psychologue.

Cet aspect est d'autant plus important qu'il existe beaucoup de situations ou la mission n'est pas claire au premier abord. Elle sera alors à construire et expliciter en préalable à l'intervention. Par exemple, bien des consultations, des demandes de bilan, d'attestation, sont faites dans des contextes conflictuels (qui sont d'ailleurs plus ou moins exprimés à la première consultation) et sous-tendues par des passions et des souffrances auxquelles le psychologue doit répondre avec bienveillance sans se départir de sa neutralité.
C'est le cas par exemple des contextes de conflit conjugal, des procédures de divorce et de répartition des droits de garde et d'hébergement des enfants.

a) S'il est commis comme expert par un juge (juge aux affaires familiales, juge des enfants), le psychologue devra faire le tour du problème, recevoir les différentes personnes concernées, et établir un rapport qui répondra avec prudence aux questions que le juge aura posées.
Cette façon de procéder permet au psychologue de se conformer aux règles énoncées dans les articles 9 et 19 du code :

Article 9 – (…) Dans les situations d'expertise, le psychologue traite de façon équitable avec chacune des parties et sait que sa mission a pour but d'éclairer la justice sur la question qui lui est posée et non d'apporter des preuves.

Article 19 - Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives sur les aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclusions peuvent avoir une influence directe sur leur existence.

b) Si la consultation ou la demande de bilan ne se situe pas dans le cadre d'une expertise judiciaire, le psychologue prendra soin de ne pas déborder de sa mission d'évaluation. En effet, ne pouvant rencontrer et évaluer tous les protagonistes, il ne pourra pas les traiter "de façon équitable" et se faire une opinion informée sur l'ensemble de la situation.

En conclusion, la commission estime essentiel qu'un psychologue en charge d'une mission puisse la définir, la délimiter clairement dès le départ et la respecter jusqu'à son terme, dans ce cas la réalisation d'un compte rendu. C'est tout le sens du sixième principe énoncé au titre I du code de déontologie des psychologues :

Titre I - 6. Respect du but assigné. Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions et à eux seulement. Tout en construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue doit donc prendre en considération les utilisations possibles qui peuvent éventuellement en être faites par des tiers.

Avis rendu le 12 février 2010
Pour la CNCDP
Le Président
Patrick Cohen

 

Articles du code cités dans l'avis : Titres I-1, I-3, I-5, I-6 ; Articles 4, 5, 9, 19.

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Avis 09-13.doc

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