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La Commission estinterrogée par un Syndicat de Psychologues, à propos de l'expertise faite par un psychologue, de rapports établis par deux psychologues dans le cadre d'une procédure d'adoption.
Le Syndicat joint à sa demande le rapport d'expertise qui établit que cette expertise a été réalisée à la demande du Tribunal administratif, saisi par le couple candidat à l'adoption, qui a confié au psychologue expert la mission suivante "1) Prendre connaissance de l'entier dossier d'instruction de la demande d'agrément de M. et Mme..., y compris les rapports rédigés par les psychologues et les assistantes sociales, ainsi que leurs pièces et annexes ;
2) Se prononcer sur la pertinence de l'analyse faite, dans ces rapports, de la capacité de M. et Mme... à accueillir un enfant adopté sur les plans familial, éducatif et psychologique ;
3) Donner au tribunal tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'apprécier le bien-fondé de la demande d'agrément présentée par M. et Mme... compte tenu de la nécessaire protection des intérêts de l'enfant à accueillir.
Le psychologue expert déclare avoir pris connaissance des rapports établis par les deux psychologues concernées et son rapport d'expertise comporte les rubriques suivantes 1- Examen des rapports psychologiques comportant les paragraphes
"Méthodologie", "Rigueur et cohérence", "Pertinence"
2- Examen des rapports sociaux
3- Discussion comportant les paragraphes "Généralités", "Affaire"
4- Conclusion
Le Syndicat joint à ce document un document rédigé par les psychologues dont le travail a été soumis à expertise et qui en contestent les conclusions, courrier adressé à leur employeur, le Président du Conseil général.
Le Syndicat attend de recevoir l'avis de la Commission "sur la conformité du rapport de cet expert avec les dispositions de notre Code de Déontologie" avant une éventuelle intervention.

Posté le 17-12-2010 16:55:00

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 1998

Demandeur :
Psychologue (Secteur Social)

Contexte :
Relations/conflit avec les collègues psychologues ou enseignants de psychologie

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Respect du but assigné
- Confraternité entre psychologues
- Autonomie professionnelle
- Évaluation (Droit à contre-évaluation)
- Évaluation (Évaluation de personnes que le psychologue n’a pas rencontrées)

1- Etude du rapport d’expertise
1.1. Etude de l’expertise des rapports des psychologues - Au paragraphe "1/Méthodologie", l'expert fait état de deux approches possibles (psychométrique et examen clinique), remarque que les rapports ne mentionnent pas la première et qu'ils sont basés sur la deuxième en précisant qu'elle est reconnue comme valide par "la psychologie moderne."
Ici l’expert contribue à l’information du tribunal, ce qui est conforme aux directives des articles 9 et 22 (Titre II) du Code.
En revanche, lorsqu'il - décrit la démarche de l'examen clinique en précisant que "par souci de clarté et de transparence" les propos rapportés doivent être bien distincts de l'analyse qui en est faite, les propos rapportés et l'analyse devant eux-mêmes être distincts de la conclusion",
- note que les rapports des psychologues n'opèrent pas ce type de distinction,
- et souligne que les propos du couple "ne sont que fort peu rapportés ou pas du tout",
l’expert méconnaît les prescriptions du Principe de confidentialité (Principes généraux/I) et de l’article 12 qui recommande une grande réserve : "Le psychologue est seul responsable de ses conclusions. Il fait état des méthodes et outils sur lesquels il les fonde, et il les présente de façon adaptée à ses différents interlocuteurs, de manière à préserver le secret professionnel. [...] Lorsque ces conclusions sont présentées à des tiers, elles ne répondent qu'à la question posée et ne comportent les éléments d'ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire."
- Dans le paragraphe "2/ Rigueur et cohérence", on relève également des critiques formulées sous la forme de prescriptions techniques, de manière impérative : "l'établissement de ces déterminations [quant à l'aboutissement d'un désir d'adoption chez un couple] doit être considéré comme essentiel, au plan psychologique [dans un contexte de] procédure pour un agrément d'adoption" (p.4). "Ma collègue se borne à des constatations [sur l'absence de démarche médicale devant une stérilité] et n'en tire aucune matière à analyse psychologique ni motifs de recherche des déterminations psychiques[...] d'une façon qui n'apparaît pas cohérente à sa fonction et aux motifs du rapport." (p.4).
L’expert ne reconnaît pas le Principe de responsabilité (Principes généraux/3) et ces remarques contreviennent aux articles 12 et 22 puisqu'elles visent à dicter une procédure d'investigation aux psychologues.
- Dans ce même paragraphe /2, les remarques de l'expert sur le manque de rigueur des rapports des psychologues (cf. p.4 à 6) portent également sur - Des éléments d'information notés comme manquants : nombre d'entretiens, date, durée, rythme, qui peuvent être considérés comme des repères cliniques par les psychologues responsables de leur intervention mais dont la communication aux Conseils de famille pourrait se voir opposer l’article 12. Cette information aurait pu être demandée par l’expert aux psychologues, dans le cadre de son expertise.
- L'indication portée par les psychologues sur la situation du couple : une grossesse extra-utérine non prise en compte, le repérage du mari comme enfant unique dans une fratrie qui compte un enfant décédé, l'expert reprochant une "absence totale de rigueur professionnelle" à ses collègues. Au plan déontologique, la Commission remarque que si les psychologues disposaient de ces informations, celles-ci ont un caractère confidentiel et sont donc soumises au secret professionnel (Principes généraux 1/Respect des droits de la personne).
- L'appréciation des psychologues concernant les attitudes défensives des candidats à l'adoption, dont l'expert donne une interprétation différente. C'est une interprétation possible mais qui resterait à démontrer à partir d'une rencontre de l’expert avec les personnes concernées, selon les dispositions de l’article 9 qui stipule que : "[...] Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées, mais son évaluation ne peut porter que sur des personnes ou des situations qu'il a pu examiner lui-même."
-Enfin, au paragraphe "3/ Pertinence", l'expert rejette la conclusion des psychologues comme "ni judicieuse ni appropriée ni fondée de telle sorte qu'elle puisse être qualifiée de pertinente" en se référant à ses critiques précédentes, ce qui au regard de l’alinéa de l’article 9 cité ci-dessus est déontologiquement non fondé.
1.2. Etude de l’expertise des rapports sociaux
La Commission s'en tiendra à la remarque que l’article6du Code de Déontologie des Psychologues leur fait une obligation de respecter la spécificité de l'exercice et l'autonomie technique des autres professionnels, ce qui rend discutable le fait, pour un psychologue, d’expertiser le travail de professionnels non-psychologues.
1.3. Etude de la discussion et de la conclusion
Dans les "Généralités", l'expert expose sa conception de l'examen psychologique en matière d'adoption. Ce point n'a pas à figurer dans un rapport d'expertise et la Commission estime que l’expert use abusivement de sa position d’expert et qu'il contrevient à l’article 22 qui stipule que : "Le psychologue respecte les conceptions et les pratiques de ses collègues pour autant qu'elles ne contreviennent pas aux principes généraux du présent Code ; ceci n'exclut pas la critique fondée."
-Concernant l’Affaire, l'expert estime, à partir des documents expertisés, qu'ils ne font état d'aucun empêchement qui, de son point de vue, s'opposeraient valablement à leur demande d'adoption, ce qui est déontologiquement fondé, au regard de l’article 9 stipulant que : "[...] Les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées." (article 9).
Cependant, la Commission fait remarquer que puisqu'il s'agit d'une mission d'expertise, il n'est pas question d'évoquer ici un simple "avis sur dossier". Il s'agit bien d'une "évaluation qui ne peut porter que sur des personnes ou des situations que [le psychologue] a pu examiner lui-même." (article9).
L’expert a donc interprété de façon restrictive le libellé de sa mission en ne rencontrant pas les candidats à l’adoption, ce qui ne lui permet pas de contester les conclusions de ses collègues, ni de proposer sa propre conclusion, ni de donner au tribunal les éléments qui lui auraient permis d'apprécier le bien-fondé de la demande d1agrément pour une adoption.
2- Commentaire
La Commission souhaite attirer l'attention du demandeur sur les différents aspects du problème - Sur la position d'expert-psychologue appelé à se prononcer sur la pratique de ses collègues : la Commission regrette qu'un réel débat contradictoire n'aie pas eu lieu entre les psychologues mises en cause et l'expert qui n'a pas respecté les exigences du Principe de qualité scientifique (Principes généraux/5)stipulant que : "Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée de leurs fondements théoriques et de leur construction. Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir faire l'objet d'un débat contradictoire des professionnels entre eux."
- Sur la positon du psychologue appelé à une évaluation ou à une expertise : il découle du point précédent qu'en cas de contestation d'une évaluation ou d'une expertise, il peut être effectué une contre-évaluation ou contre-expertise des personnes ou des situations, et non pas une évaluation ou une expertise des rapports d'évaluation ou d'expertise (article 9).
- Sur la transmission d'information à des tiers : la Commission rappelle qu'il est de la responsabilité de chaque psychologue d'en décider (articles 9 et14), dans le respect des prescriptions du Code qui s'appliquent quelles que soient les modalités de son intervention, et cela en accord avec l'article 8 : "Le fait pour un psychologue d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à toute entreprise privée ou tout organisme public, ne modifie pas ses devoirs professionnels, et en particulier ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance du choix de ses méthodes et de ses décisions. Il fait état du Code de Déontologie dans l'établissement de ses contrats et s'y réfère dans ses liens professionnels."
- Sur les rapports des psychologues : il semble qu'ils aient contenu des données à caractère confidentiel qu'on ne s'attendrait pas à trouver dans un compte-rendu destiné à un tiers, autorité administrative ou autre. Contrairement à l'expert qui estime que ces rapports en contiennent trop peu, la Commission estime que le secret professionnel a été transgressé sur ce point.

Conclusion

La Commission tient à rappeler avec force que les règles déontologiques s'imposent à tous les psychologues, qu'ils pratiquent une évaluation ou une expertise.
Elle regrette l'imprudence dont ont pu faire preuve les psychologues mises en cause dans l'élaboration de rapports destinés à des tiers.
Elle dénonce le non-respect du Code dans l'expertise soumise à son avis - tant dans les conseils de l'expert vis-à-vis des psychologues concernant le contenu des rapports (éléments d'entretien), qui contreviennent gravement à l'obligation de secret professionnel ;
- que dans la critique des rapports et compétences des psychologues ;
- et dans l'élaboration de ses propres conclusions portant sur des personnes que l'expert n'a pas rencontrées.
La CNCDP estime donc que ce rapport d'expertise n'est pas, à bien des égards, conforme aux dispositions du Code de Déontologie des Psychologues.

Fait à Paris, le 8 mai 1999. Pour la CNCDP,
Claude NAVELET, Présidente

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Avis 98-25.doc

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