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Une psychologue, exerçant dans un Centre Hospitalier, sollicite la CNCDP au sujet d’une nouvelle demande de mission :
Cette demande concerne l’accompagnement de mineurs victimes, lors de leur audition dans ce Centre Hospitalier (selon un protocole signé avec le Procureur de la République).
La mission consiste à « assister aux auditions de mineurs, dans le but d’un soutien pendant l’audition et de la réalisation d’un avis ».
Une collègue psychologue d’un autre service a participé aux réunions de concertation. Elle estime que les psychologues seront « essentiellement présents pour veiller à la protection psychique du mineur (accueil, réponses aux questions de l’enfant, veiller à une prise en compte de sa souffrance par l’autorité judiciaire, le sécuriser…) », même s’il est fait mention, dans le protocole, d’une demande d’évaluation ou de « fiabilité des déclarations reçues ».
La psychologue qui sollicite un avis se questionne, d’une part, sur le « rôle du psychologue (…) investi dans cette place de protecteur » ; d’autre part, l’avis à donner et ses conséquences lui semblent « hors éthique et hors fonction ».
Par ailleurs, il lui a été dit qu’en dehors d’un tel protocole, tout psychologue peut être réquisitionné pour assister à des auditions et réaliser des expertises de crédibilité. Elle sollicite également la Commission sur les conditions de ces réquisitions.
Enfin, malgré les assurances orales qui lui ont été apportées par sa collègue, elle craint qu’on demande au psychologue d’être « un expert rapide et un contrôleur judiciaire ».

Documents joints :

  • Additif au protocole « sur la prise en charge hospitalière et judiciaire des mineurs victimes de mauvais traitements et d’abus sexuels et relatif à l’audition des mineurs au sein du centre hospitalier ».
  • Coupure de journal informant de ce nouveau dispositif
Posté le 30-11-2010 18:56:00

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2007

Demandeur :
Psychologue (Secteur Santé)

Contexte :
Questionnement professionnel personnel

Objet de la demande :
Intervention d’un psychologue
Précisions :
Assistance aux victimes

Questions déontologiques associées :

- Reconnaissance de la dimension psychique des personnes
- Mission (Distinction des missions)
- Mission (Distinction des missions)
- Compétence professionnelle (Formation (formation initiale, continue, spécialisation))
- Responsabilité professionnelle
- Autonomie professionnelle

En préalable, la CNCDP rappelle la responsabilité du psychologue à travers son autonomie professionnelle, affirmée dans les principes généraux du Code de déontologie (Titre I-3) :
Titre I-3. « Outre les responsabilités définies par la loi commune, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Il s'attache à ce que ses interventions se conforment aux règles du présent Code. Dans le cadre de ses compétences professionnelles, le psychologue décide du choix et de l'application des méthodes et techniques psychologiques qu'il conçoit et met en œuvre. Il répond donc personnellement de ses choix et des conséquences directes de ses actions et avis professionnels. »
En effet, ce Titre I-3 pose les bases de l’essentiel des points que la commission se propose d’aborder pour répondre à cette demande d’avis :

        • Acceptation des missions
        • Distinction et respect des missions, conditions de leur réalisation

Quant à la question sur la réquisition d’un psychologue, qui ne concerne pas directement la déontologie, elle sera traitée en annexe.

Acceptation des missions

La décision d'accepter ou de refuser une mission est guidée par trois articles du Code : les articles 3, 5 et 7.
Article 3 « La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. »
L’article 5 nous indique que les notions de qualification et de compétence sont fondamentales.
Article 5. « Le psychologue exerce dans les domaines liés à sa qualification, laquelle s’apprécie notamment par sa formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie, par des formations spécifiques, par son expérience pratique (…).Il détermine l’indication et procède à la réalisation d’actes qui relèvent de sa compétence. »
L’article 7 précise que : « le psychologue accepte les missions qu’il estime compatibles avec ses compétences, sa technique, ses fonctions »

Ainsi l’autonomie professionnelle du psychologue lui donne la possibilité de décider, en fonction de chaque situation particulière et en fonction de sa qualification professionnelle, s’il est de sa compétence et de l’intérêt de la personne de répondre à une demande d’intervention ou de déterminer comment y répondre.

Dans la situation présentée, on relève trois missions différentes qui seraient confiées au psychologue : celle qui consiste à "accompagner" l'enfant pendant l'audition, celle qui consiste à évaluer la fiabilité de l'audition, et celle qui demande la réalisation d'un "bilan". Chacune sera traitée séparément.

1) L'accompagnement de l'enfant
En ce qui concerne l’accompagnement du psychologue pour les auditions de mineurs, on peut considérer que l'intervention du psychologue dans la salle d'audition se justifie pleinement dans un registre clinique : accueillir l’enfant, répondre à ses questions, « veiller à une prise en compte de sa souffrance (…) le sécuriser », et aussi repérer d'éventuels signes de malaise, d'angoisse ou de détresse de l'enfant (ce qui pourrait éventuellement amener le psychologue à demander le report de l'audition) sont bien des éléments de prise en compte de sa dimension psychique. En ce sens, c’est une mission qui s'inscrit en conformité avec l'article 3 du code de déontologie des psychologues (supra).

2) L'évaluation de la fiabilité de l'audition
Concernant la mission éventuelle d’évaluation de la « fiabilité des déclarations reçues », le psychologue doit s’interroger sur les compétences nécessaires à cette mission : analyser la qualité de l’interrogatoire (par exemple questions inductives, phénomènes de contamination, etc.) et la maturité affective et cognitive de l’enfant. Si le psychologue estime avoir la compétence pour évaluer ces deux aspects de l’audition, il peut remplir cette mission. Si ce n’est pas le cas, étant entendu que recueillir la parole de l’enfant dans ce contexte relève d’une formation spécialisée, il doit refuser cette mission.
Rappelons en effet ici le Titre I-2 du Code :
Titre I-2 «(…) chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières et définit ses limites propres, compte tenu de sa formation et de son expérience. Il refuse toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compétences requises ».
Quoi qu’il en soit, il ne s’agit en aucun cas de la recherche de preuves, qui concerne exclusivement l’instruction judiciaire. 

3) Le bilan
Les articles du code précédemment cités s'appliquent bien entendu aussi à la mission de réaliser un bilan avec l'enfant. Toutefois, cette mission vient s'inscrire dans un contexte particulier, celui de l'audition de police, et nécessite plus ample réflexion. Nous la développons au chapitre qui suit.

Distinction et respect des missions, conditions de leur réalisation

            Outre les 2 missions déjà évoquées,  une troisième mission, celle de « bilan » est abordée, dans le protocole. Il est important de distinguer la mission d’observation et d’évaluation de l’audition elle-même, d'une part de la mission de « bilan », et d'autre part d'une mission d'expertise. L'importance de la distinction des missions et de leur respect est affirmée à l'article 4 du Code :
Article 4. « [le psychologue] peut remplir différentes missions qu’il distingue et fait distinguer, comme (…), l'évaluation, l'expertise (…) ».
Il est effectivement fondamental que la distinction entre cette mission et une mission d’expertise soit clairement définie. 
L’évaluation psychologique d’une victime se fait généralement dans le cadre d’une mission d’expertise qui nécessite la désignation par le juge d’un expert par une ordonnance de commission d’expertise, assortie d’une mission explicite.
Il est de la responsabilité du psychologue de s’interroger sur les conditions dans lesquelles elle est réalisée. Par exemple, une évaluation psychologique qui serait faite juste avant ou juste après une audition de police, serait préjudiciable à la qualité de l’examen psychologique et à l’objectivité du psychologue et risquerait d’augmenter la détresse de l’enfant.
En outre, un tel bilan ne peut se faire que s’il s’accompagne d’un entretien avec l’enfant, au cours duquel seront abordés nécessairement les questions relatives aux allégations. Ace titre, il réintroduirait ce que précisément la loi essaie d’éviter, à savoir la multiplication des relations (au sens de « relater »). En tout état de cause, un tel bilan ne devrait jamais avoir lieu avant l’audition de police.
Un examen psychologique ne doit pas être assimilé à un examen médical, qui lui est justifié « à chaud » ou dans l’urgence.
Effectuer un bilan dans ce contexte paraît contraire à l’éthique professionnelle des psychologues : il s’agit là d’une situation où le psychologue possède la compétence requise, mais estime que cet acte n’est pas indiqué dans ces circonstances et à ce moment précis de la vie de l’enfant. L’article 5 déjà cité stipule que le psychologue « détermine l’indication ». Par exemple, dans ce cas précis, il s’interroge sur le moment opportun.

Conclusion
Concernant l’audition elle-même, à condition de préciser les missions qui lui sont imparties dans ce protocole et d’estimer avoir une compétence dans ce domaine, un psychologue peut, sans déroger au Code de déontologie, participer au protocole (y compris écrire un rapport sur la « fiabilité » bien comprise).
Concernant le « bilan » éventuellement demandé, il risque effectivement, comme l’a pressenti la psychologue qui saisit la commission, d’être contre-productif par rapport à la nécessaire expertise de la victime.

Avis rendu le 8 mars 2008
Pour la CNCDP
La Présidente
Anne Andronikof

Articles du code cités dans l'avis : Titres I-2 , I-3 ; articles 3, 4, 5, 7

 

ANNEXE : Réquisition d’un psychologue

Il n’existe pas de texte spécifique concernant la réquisition des psychologues. La plupart des textes renvoient aux professionnels de santé et principalement les médicaux et paramédicaux. Par ailleurs, nous pouvons nous appuyer sur les textes de la fonction publique en général, qui prévoient les réquisitions en situations exceptionnelles. Celles-ci doivent être formulées par le Préfet ou son représentant local. Dans tous les cas, l’ordre de réquisition doit être notifié par écrit. S’il n’est pas exécuté, l’agent s’expose à des sanctions disciplinaires lourdes.
Dans la situation évoquée, il ne semble pas qu’il s’agisse d’une réelle réquisition, mais bien plutôt d’une organisation de service, pour répondre à une nouvelle mission.

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Avis 07-09.doc

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