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La demande émane de la mère d’une enfant de cinq ans, engagée dans une procédure de divorce avec le père. Les deux parents sont en désaccord au sujet de la résidence de leur fille. La demandeuse souhaite que la résidence habituelle de leur fille soit fixée à son domicile, alors que le père demande la mise en place d’une résidence alternée. Dans ce contexte, le Juge aux affaires familiales a ordonné une enquête sociale, menée par une association spécialisée. Les conclusions en ont été contestées par le père qui les jugeait « défavorables ». Celui-ci a donc demandé une contre-enquête qui a été validée par le JAF et réalisée par une psychologue, salariée de la même association comme enquêtrice. Dans son rapport, outre le recueil des éléments demandés par le juge, celle-ci rend compte d’éléments d’observations et d’interprétations cliniques sur le comportement de l’enfant lors de sa visite au domicile du père.

La demandeuse questionne la Commission sur le contenu et la forme de cette deuxième enquête sociale en s’interrogeant sur :

  • la compatibilité entre les fonctions d’enquêteur et de psychologue : « Le psychologue est-il habilité à mener une enquête sociale » ?
  • la forme du document rédigé : « l’enquête (qui) est présentée, rédigée et signée par la professionnelle en qualité de psychologue chargée d’enquête sociale mais ne présente pas son numéro ADELI. N’y a-t-il pas confusion entre deux professions différentes et de fait, missions différentes celui de l’enquêteur et du psychologue » ?
  • la méthode et la rigueur de la psychologue lors de la réalisation de l’enquête sociale. Elle estime que l'enquêtrice a pris parti pour le père de sa fille, se questionne sur le fait que la psychologue a émis des propositions concrètes sur les modalités de résidence de l’enfant en conclusion de son enquête, ou encore que le principe du contradictoire n’a pas été respecté. En effet, la psychologue n’a pris contact qu’avec la grand-mère paternelle pour mener son investigation sur les « conditions de vie de l’enfant ».

La demandeuse précise ne pas souhaiter une troisième enquête mais sollicite l’avis de la Commission sur recommandation de son avocate, « sur le mode d’exercice de la psychologue et sa conformité ».

 

Documents joints :

  • Copie de l’ordonnance de non conciliation rendue par le Juge aux affaires familiales.
  • Copie partielle d’un échange par courriel entre la demandeuse et son avocate.
  • Copie du premier rapport d’enquête sociale réalisée par l’association.
  • Copie du second rapport d’enquête sociale réalisé par l’association. 
  • Copie d’un courrier de l’avocate de la demandeuse destiné au juge aux affaires familiales contestant la méthode de cette seconde enquête.
Posté le 27-09-2017 18:21:28

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2016

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre époux

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’enquête

Questions déontologiques associées :

- Mission (Distinction des missions)
- Compétence professionnelle (Analyse de l’implication personnelle du psychologue)
- Respect du but assigné
- Responsabilité professionnelle
- Impartialité
- Discernement
- Évaluation (Relativité des évaluations)

Compte-tenu de la demande et des pièces jointes, la Commission se propose de traiter le point suivant :

Rigueur, prudence et impartialité dans la rédaction d’un rapport.

 

Introduction

Comme il est rappelé en avertissement de cet avis, la Commission de déontologie des psychologues a pour mission d’éclairer sur les pratiques des psychologues au regard du code de déontologie qui régit leur profession. Dans la présente situation, nous nous attacherons donc à ne répondre uniquement qu’aux questions en lien avec la profession de psychologue et non aux questions réglementaires concernant l’enquête sociale.

Le psychologue peut être amené à remplir différentes missions dans des contextes variés. Il doit, comme le rappelle le Principe 3, s’attacher à les distinguer et les faire distinguer. Le cadre de l’intervention doit donc être précisé à toute personne rencontrée au cours de la mission d'enquête sociale, sans ambiguïté.

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« […] Il (le psychologue) peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. »

Le psychologue doit informer les personnes qu'il rencontre des objectifs et des limites de son intervention et s'assurer de leur consentement éclairé.

Article 9 : Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation une recherche ou une expertise. Il a donc l'obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs des modalités, des limites de son intervention et des éventuels destinataires de ses conclusions.

Dans la situation présentée, le Juge aux affaires familiales a ordonné une enquête sociale pour éclairer sa décision au sujet de la résidence de l’enfant. 

La mission de l’enquêteur, telle que mentionnée dans l’ordonnance, était outre de recueillir des renseignements sur la situation matérielle et morale de la famille et les conditions de vie de l’enfant, de décrire l’évolution de l’enfant et les répercussions du conflit parental.

La psychologue est donc ici mandatée comme enquêtrice sociale et dans ce cas, elle doit signer son rapport en sa qualité d’enquêtrice, la mention écrite du titre de psychologue paraît donc inappropriée dans ce contexte. Elle n'a ainsi pas l'obligation de mentionner son numéro Adeli sur le rapport d'enquête.

 

Rigueur, prudence et impartialité dans la rédaction d’un rapport.

Dans le cadre d’une enquête sociale, le psychologue répond aux questions qui lui sont posées dans la limite de son champ de compétence et de sa déontologie, et transmet des éléments sur la dynamique familiale, l'évolution et l'impact du conflit familial sur l'enfant ainsi que sur la faisabilité du projet parental. Il s’agit ici d’un contexte de rencontre particulier qui se doit d’être défini préalablement à la rencontre.

Quel que soit le cadre de son intervention, le psychologue doit faire preuve de la plus grande prudence concernant la transmission d'éléments psychologiques qui ne concerneraient pas directement le but assigné à l'intervention.

Pour ce faire, le psychologue doit se référer au Principe 6.

Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers ».

Dans la situation présentée, la psychologue, outre les éléments descriptifs qui font l’objet de sa mission, se livre à des interprétations des jeux de l’enfant et les mentionne dans son rapport. Cette démarche n’entre pas dans la mission d’un enquêteur social, ce qui entraîne une confusion entre la fonction d’enquêteur et celle de psychologue.

Article 17 : Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. La transmission à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci.

Le psychologue, en qualité d’enquêteur social, est appelé à émettre un avis et des préconisations destinés à éclairer la décision du Juge aux affaires familiales concernant les droits de visite et d'hébergement. Dans ce cas, sa responsabilité professionnelle est engagée comme le rappelle le Principe 3 :

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule. […] ».

Le psychologue veille donc à ce que son écrit n'amène pas à des observations réductrices ou potentiellement définitives qui serait préjudiciable à l'intérêt de l'enfant.

Principe 4 : Rigueur

« Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explication raisonnée et d'une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail ».

Article 25 : Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes.

Dans la situation présente, la psychologue a manqué de prudence et de rigueur lorsqu'elle a transmis, dans son écrit, des interprétations sur les jeux de la petite fille. En effet, les observations et interprétations du psychologue doivent reposer sur un argumentaire rigoureux. 

Dans ce contexte de séparation conflictuelle, la psychologue devait évaluer les répercussions psychiques de ce conflit sur l'enfant en tenant compte de son développement psychoaffectif.

 De plus, le psychologue doit faire preuve de discernement et d'impartialité dans les contextes de séparation conflictuelle et ne pas s'impliquer pour une partie ou l'autre. 

Principe 2 : Compétence 

Le psychologue tient sa compétence : […] – de sa formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d’autrui. […] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité.

Dans la situation présente, la psychologue a effectué un recueil d'informations sur les parents et leur fille sans pour autant faire des hypothèses sur son fonctionnement psychique. Comme le suggérait le juge, elle aurait pu mener des investigations plus exhaustives en prenant contact avec la famille élargie afin de mieux appréhender les relations de l'enfant avec son entourage. Le fait que la psychologue ne prenne contact qu'avec un seul autre membre de la famille (coté paternel) peut mettre en doute son impartialité.

 

 

Pour la CNCDP

La Présidente

Catherine MARTIN

 

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avis 16-04 AI.pdf

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